Quartier des Tanneurs
Je suis une enfant de la Petite Venise
Une fille de la Rue des Clefs
Embrassée par un pays de neige et de lumières
J'ai tracé sur mon chemin, emporté dans mes voyages
La mosaïque colorée des façades à colombage
Le jeu des vagues vives et pétillantes
Des cascades de Géraniums Rosat
Qui fleurissaient aux balcons
Telles des oriflammes multicolores
À ma devise, j'ai transcrit
L'envol intemporel des cigognes blanches
La force des Diables Rouges aux cœurs farouches
Porté dans mes songes le doux molletonneux
Des nuages qui s'étendaient au Mont des Trois-Épis
Méditerranéenne
Née en terre étrangère
D'une île parée de poussière d'ocre et de rouge
En mon sang coule le triste temps
Des grandeurs passées d'un monde sans postérité
Moi, Fille de Forbans
Fondateurs de Libertalia dont la bannière se hissait
Aux couleurs des pavillons noirs
Je suis l'héritière sans avoir d'un pays de princesses métisses
Sans palais, sans couronne
Au passé bercé des cités de Phénicie
J'ai dans les yeux la toile profonde, énigmatique en bois d'ébène
Qui rappelle à nos mémoires
Qu'ils traversèrent le monde en homme
Libres, Esclaves, et Maîtres
Qu'ils arrivèrent des confins
Des Mers du Levant, du Pacifique et du Mozambique
Qu'ils étaient
Aventuriers, navigateurs, bâtisseurs
Helléniques, Persiques, Indonésiens
Bravant contre vents et marées
Un monde de cyclones
Sur la ligne imaginaire
Du Tropique du Capricorne
Moi, la petite promeneuse du Galtz
L'invitée de la Tour du Bourreau
Et du Caveau Saint-Pierre
La contemplative de la Maison Pfister
La flâneuse du Champ-de-Mars
Loin de vos couleurs
Je reste votre douce, votre désinvolte
Éprise de liberté, assoiffée d'espace
Si mes rêves ont navigué bohème
Des rives du Rhin
À l'Île aux cygnes
De la Baie d'Elliot
Aux Calanques Bleues de Massalia
Jusqu'au bord du Léman
C'est dans l'eau trouble de la Lauch
Que mon encre trouva sa douce inspiration
Aux Quais des poissonniers
Quartier des Tanneurs
Vous m'aviez offert deux perles sombres
Qui jamais n'ont perdu de leurs éclats
Deux cadeaux de la providence
Déposés sur des lits de myrtilles
Des bancs de l'Assomption
Au salon d'Iffenecker
Je vous ai tant parcouru
Ma belle et vieille ville
Vous dont les passages ouvrirent mon cœur
À mes premiers amours
Insufflèrent à mes premiers baisers
Cette mélancolie légère et sucrée
L'éclat de mes quinze ans
En parcourant les mystérieux couloirs
Du cloître d' Unterlinden
Le pas léger, insouciante
Mon cœur et mes yeux fléchirent
Au retable d'Issenheim
Dans mon premier voyage
Au pays de la couleur
Au temps passé, chaque seconde
Capturait un avant-goût du Paradis
Une fraction d'éternité volée à la lumière
Où ma main a cherché en enfant appliqué
À retracer par vos lignes vallonnées
Des mots qui prenaient appui
Sur l'horizon du Grand Ballon
Et du Petit Ballon
Je reste la fille des Lacs
Blanc, Noir et Vert
Une gamine du Chemin du Petit Faudé
Et du Haut-Koenigsbourg
De Labaroche à la Vallée d'Orbey
En passant par Kaysersberg, Niedermorschwir
De l'étang du Devin
Jusqu'au Col du Linge
J'ai fleuri mon âme de toutes vos couleurs
Cacheté mon cœur aux encres bleues de vos ballons
Rafraîchi mes versets à l'ombre de vos ruisseaux
Empli mes rêves des champs de bouton d'or
Foulé vos parterres de résines
Aux pieds des croix du souvenir
Scellé mes saveurs de miel, d'églantine sauvage
De confiture de mirabelles et de tarte à la rhubarbe
En traversant le monde
Mon étoile et mon infortune
Au creux de mes mains
Jamais je n'ai oublié
D'où je viens et qui je suis
Certes, mon accent s'est perdu
Pourtant, il me restera au fond du cœur
La légèreté de mon enfance Alsacienne
Vos chansons et vos danses
Cette nonchalance voyageuse
Dans la démarche de mes phrases
Colmar
Ma belle ville
Recevez mes proses,
Ces bouquets de mots en rubans délicats
Nouez-les à vos grands papillons noirs
Telle votre belle-enfant
En retour et par constance
Je vous offre mon cœur et ma joie
D’avoir emporté votre douceur de vivre
Héritez de ma ballade douce et légère
Où tout esprit modeste m'anime
À faire luire au phare de mes lettres
En votre faveur
Vos lumières à celle de mon siècle
Recevez, ma ville, ces douces pensées d’une amie
Qui vit loin de vos couleurs
Et vous gardera à jamais en son cœur toujours
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