"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

mercredi 9 décembre 2015

AGHENDAR , les chants du Pacifique 4




AGHENDAR
Les Mondes Chirkmanes


Papillons 1
Pierre-André Gervaix
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Mars observait la réaction de son fils, celui-ci avait posé la feuille sur la table. Il contempla silencieux l’instrument, puis il le cala contre lui pour l’ajuster à son corps. Ses doigts trouvèrent instinctivement leurs places et un son étrange s'échappa de l’instrument. Il replaça ses doigts en insistant sur les cordes qui se mirent à vibrer et les sons traversèrent la maison. Mars vit alors se dessiner sur son visage, un grand sourire et ses ses yeux prirent un éclat particulier. À cet instant, il revit un fantôme, son ami Price, ils étaient frères d'armes.  Il l'avait perdu lors de son dernier voyage, une perte dont jamais, il n’avait pu se faire pardonner. Aussi, dès que l’occasion put se faire, il avait aussitôt protégé l'enfant et sa mère des dernières rafles d’Hony-Pry. Il avait vécu sur l’île à la clause d’Hony-Pry de ne jamais les laisser quitter l’île. La peine s’était allégée avec le temps, mais Dénevia ne s’était jamais remise de la mort de Price. Durant des années, il avait senti peser sur ses épaules la responsabilité de la mort de son ami, puis sa douleur s'était allégée avec la présence de l'enfant. Golane avait rempli sa maison d'une quiétude dont il n'aurait alors soupçonné l'existence. Il avait aimé secrètement cette femme Grône et s’était défendu de cet amour en parcourant le continuum, en poussant toujours plus loin son voyage d'étoile en étoile, de planète en planète, mais le Maître Grône avait payé de sa vie leur amitié. Dans sa solitude, Dan Mars avait compris à l'instant où il avait eu l'instrument en main que l'objet reviendrait un jour dans son monde. L’envers univers était à présent aux mains  d'Aghendis, Price avait trouvé et ouvert La Porte pour un millénaire de générations. Golane sur les traces de son père, il pouvait désormais quitter ce monde en toute sérénité. Il avait tenu sa parole, La Prophétie des Maîtres Grônes s’accomplirait et la chute de l’Empire n'était plus qu’une question de temps. Il regardait l’adolescent, cette réplique à l’identique de son meilleur ami. Il songeait à un lieu bien plus vaste que le Pacifique, un océan qui pouvait se montrer aussi généreux dans le pouvoir de guérir qu'aussi terrifiant si vous n'étiez pas élu. Price avait bu à cette eau, mais ils étaient arrivés trop tard et le corps de son ami était resté inanimé dans l'océan. Il s’en est allé dans l’autre monde lui avait dit le guerrier Chirkmane. Il avait gardé son corps dans ses bras pour le bercer et le pleurer sous la voûte étoilée d'un ciel inconnu et déposé en terre son corps sous les chants des guerriers. Dan Mars avait tant espéré, mais en vain pour Price, une seconde chance, mais il était revenu avec ce fardeau terrible.



Masque de pierre, jardins Palais Longchamp- Marseille
Pop H
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Le nom de Price avait été chanté, puis gravé sur une Pierre-de-Lune, un son  qui poursuivrait sa quête à travers  le continuum de génération en génération Chirkmane. C’est ainsi que l’on obtient l’infini lui avait dit le guerrier Chirkmane, ta peine disparaîtra dans la multitude du temps. La vie n’est qu’un sursis face à la mort, seul compte la mémoire de ton ami dans le temps. Dan Mars avait saisi le chant des Chirkmanes, le sursis de Price avait pris la forme ronde et gracieuse d’une femelle élue. Il avait vu naître l’impensable, une enfant mi-Grône et mi-Chirkmane, l’océan était-il responsable de cet étrange phénomène. Il ne le saura jamais. La vie trouve toujours son chemin, lui avait dit le guerrier. 


Third World Creatures...
Lalie Sorbet SL
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Il était resté plusieurs mois sur leur planète, le temps de réparer son vaisseau, assez de temps pour reconnaître en l’enfant les traits de son père et la force redoutable de sa mère. 
Price laissait derrière lui un cadeau effrayant à l'Empire. Une lignée de Maîtres Grônes franchissant l’espace guidée par une femelle honorée en mère des futures générations Chirkmanes. Le sang des Grônes était incompatible aux Aghendiens et il n’en connaissait pas la raison. Lui-même ne savait comment il avait été conçu, il était le produit contrôlé des Bulles de fer. La notion de père et de mère n’était propre qu’aux Grônes et au reste de l'univers. Ce fut l'une des découvertes de son voyage au-delà de l’envers univers.
Golane observait le vieux capitaine, il apprenait avec stupéfaction qu’il n’était pas que le fils de Price. Une certaine ressemblance avait joué en cette faveur, Hony-Pry en avait-il eu vent pour les avoir laissé vivre sur l’île. Il observait son père, un vieil homme aveuglé par son amitié. Price l’avait suivi au-delà des étoiles afin qu’il puisse à son tour le protéger de l'Empire . Price était un Maître incontestable, ses visions comme sa fidélité à cette amitié n’avaient eu de limite. La vue de la jeune femme  lui revint, une Chirkmane, pensa-t-il, il était amoureux d’un être redoutable et sauvage, il aimait son ennemi. 
Golane cala l’instrument contre lui et se mit à jouer. Il joua si bien qu’il ne sentit pas la nuit croître et illuminer les deux lunes d’Aghendar. Le Pacifique entendit son chant et répondit à son enfant en se drapant d’une nappe lumineuse chargée d’émeraude. Sur ces verts subtils, il percevait à travers la clameur des vagues qui se déchargeaient sur la plage, la déflagration de ses propres pensées qui le bouleversaient. 
Il y eut cette vibration nouvelle qui se mit à résonner sur l’eau et dans le ciel où L’infini saisissait la pulsation d’un cœur d’enfant qui découvrait son premier amour. Les étoiles écoutaient silencieuses, le chant d’un futur capitaine de vaisseau qui découvrait son meilleur ami pour supporter la solitude de l’espace. Les Mondes d'Aghendis accueillaient dans sa plus belle nuit, celle où les deux lunes ne font plus qu’une sur Aghendar, la naissance du dernier Maître Grône.



Valérie Naelle

jeudi 3 décembre 2015

AGHENDAR, la Mer des Tranquillités 3





ARnno PlanneR
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AGHENDAR



HAVRE DE PAIX




Golane était persuadé d’être le dernier Grônes, se pourrait-il qu’il en reste encore dans cet univers ou ailleurs et si oui pourquoi ne l’avait-il pas perçu plus tôt, pensa-t-il soucieux.  Il ne l’avait absolument pas perçu, il avait la quasi-certitude qu'elle n'était pas un Grône. Elle était autre chose, mais quoi ? Il se sentait désemparé par cette rencontre inattendue. L’univers est peuplé de tant de diversités d’êtres, qu’il ne saurait sans doute jamais à quelle  espèce, elle appartenait. Non, pensa-t-il, elle ne pouvait être un Grône, pourtant... 
Il traversa le corridor qui le menait à la plate-forme réservée au personnel qui baignait à cette heure dans un calme intemporel. Le Spatio-Port allait lui manquer, la chaleur dégagée par le feu des soudures, l’odeur du métal en fusion et le bruit assourdissant des machines qui rendaient le lieu comme le plus ardu d'Aghendar. L'Académie spatiale d’Aghendar ne l’attendait pas. Pourtant, il nourrissait la folle espérance de finir capitaine comme son père et entrevoyait son destin avec l’émerveillement d’un jeune enfant. L’aircar l’attendait sous le portail  des départs, il s’élança vers l’appareil qui s'ouvrit  et s’y jeta d’un bond et se retrouva aux commandes avec un petit sourire fier. Certes, son aircar n’avait rien d’un rapace, mais il était son seul bien. Il l’avait construit avec une infinie patience et l’avait vu prendre forme, jour après jour. Son œuvre terminé, il l’avait transporté jusqu’au hangar où l’attendait ahuri l’équipe qui partageait son travail quotidien. Au premier essai, sa vitesse de propulsion avait interpellé le vieux chef qui avait étudié les plans de l’appareil avec une grande attention.


Machine Volante
Pierre-André Gervaix
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 L’aircar s’élança dans le vide, forma une boucle au-dessus de l’Aérospace. Golane poussa au plus fort la vitesse de son vaisseau qui le mena au-dessus de la ville, gigantesque, tentaculaire. Les lumières de la cité, multitudes étincelles de feux se confondaient avec les étoiles. Le Spatio-Port lui sembla tout à coup très petit. Il se laissa porter profitant des vents ascendants   et se dirigea vers le bras du fleuve qu’il suivit paisiblement. Il laissait derrière lui, les murs de pierre, les tours de cristal pour entamer son ascension vers la Mer des Tranquillités. Dan Mars l’attendait avec une surprise, il se doutait de l'annonce qu'il allait lui faire, mais à cet instant, une foule de questions l'assaillaient et le déconcentraient.




Il  poursuivit sa course en se laissant  glisser entre les dunes de sable. Elles ondulaient et serpentaient à travers le désert de Moghar jusqu'à l'embouchure des terres bleues. Il prit un couloir de lumière, les yeux éblouis par l'étendue limpide et prit le cap pour l'île. Golane était content, il arriverait juste à temps pour la Tombée des deux lunes. Il contemplait La Mer des Tranquillités, elle portait  bien son nom, il est vrai qu’il ne l’avait jamais vu gronder. Les anciens l’appelaient, Pacifique, Golane aimait bien ce nom étrange emprunté à une langue très ancienne. Pacifique, pensa-t-il tout haut, Pacifique, puis le  silence absorba l’intérieur du vaisseau.  Derrière lui, les dunes immobiles s’évaporaient happées par les souffles de sable, les jaunes et ocres de la terre avaient cédé place à une vaste nappe bleue aux reflets mélancoliques. Sous le vaisseau, la surface de l’eau respirait par des ondulations troubles qui rappelaient à Golane, le clair des yeux de son inconnue. À mesures que défilaient les coordonnées de sa destination, il soupçonnait au loin l’île, mais ses pensées restaient troublées par sa rencontre. 



Paysage
Pierre-André Gervaix
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Le vaisseau repéra la plage et ouvrit ses ailes pour se poser sur le sable. Golane excellait dans cet exercice. Dan Mars observait son fils de la terrasse de sa maison en souriant, car pas un grain de sable ne s’était soulevé lors de son atterrissage. Tout était resté figé dans une singulière immobilité. Là où certains se posaient dans un bruit ahurissant faisant voltiger des gerbes de sables, Golane avec une facilité déconcertante atterrissait son appareil dans l’immobilité des éléments. Il le vit se dégager de son aircar d’un geste sec et prendre d’un pas nerveux sa direction. 





-Tu es bien le fils de Price, lui seul se posait de la sorte, tu as le même don ! Golane approche, dans mes bras ! Mes os ne sont plus aussi rapides qu’avant, lui dit-il en riant.
Il le pressa aussi fort qu’il le put contre lui comme s’il eut été un jeune enfant. Il perçut un trouble l'embarrasser et prit le temps de croiser ses yeux comme pour mieux le jauger. En effet, quelque chose d’inhabituel l’avait troublé. Dan Mars, cet intrépide capitaine était revenu avec une grande partie de sa flotte de l’envers univers. Il avait été le premier à découvrir la Porte, ce passage tant recherché qui vous propulsait de l’autre côté du Grand Néant comme le nommaient les hommes d’équipage. Il avait été promu à un tel degré de remerciement pour sa découverte qu’Hony-Pry en personne lui avait cédé l'île, une perle au milieu de l’océan. Aucun Haguedien du vivant D’Hony-Pry n’avait obtenu une telle distinction. La découverte des mondes situés au-delà des galaxies connues explosaient en connaissances et en valeurs marchandes et la Porte offrait des perspectives financières sans limite aux Maisons-Mères d’Aghendar. Dan Mars avait fait ériger cette petite maison sur un petit rocher, en amont de l’unique plage de l’île. De là, le vieil homme pouvait admirer, la Mer des Tranquillités avec toutes ses couleurs, loin des bruits assourdissants d'Aghendar.
L’intérieur était d’une grande sobriété, au mur, il avait accroché très sommairement quelque pièces originales ramenées de ses voyages. Golane laissait son regard s’y promener s’abandonnant au rêve fou d’y parvenir un jour à son tour. Dan Mars s’était absenté avec ce regard qui promettait quelques surprises. Il l’attendit en se dirigeant sur la terrasse de la maison. Il voulait voir les Terres bleues, sentir l’air salé dans ses poumons et profiter des dernières lumières du jour.

Goodnight Tale
Pierre-André Gervaix
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Son regard contemplait La Mer des Tranquillités avec ses deux lunes qui prenaient à cette heure, une couleur d’opalescence. Il aimait ce moment où la nuit et le jour s’affrontaient et se confondaient. L’étendue bleue accentuait son trouble sans qu’il puisse s’en défendre.
Comment l’envers univers était-il, il y avait tant de questions, mais où donc est passé ce vieux fou pensa-t-il affectueusement. Il l’entendit, s’avancer derrière lui, d’un pas léger




-Golane, j’ai deux surprises, la première, je te l’annonce, tu as été pris sur le Galion Aghendis IV et... Tu les sais déjà ? Bien ! Mais, cela, tu ne t’y attendais pas !
Le vieil homme lui tendit fièrement un drôle d’objet.
-Qu’est-ce ? Il le prit dans ses bras, non, il ne s’y attendait pas. Il l’évalua, son poids n’était pas bien gênant.
- Cet objet, une vieille chose. En fait, à part, cette île et cet objet et bien entendu, mon uniforme, c’est l’une des seules valeurs que j’ai pu garder en ma possession. 
Golane ne s’attendait absolument pas à cette surprise. Le bois était lisse et doux sous sa main. Il percevait que l’on avait pris soin de l’objet et le tenait en respect pour avoir traversé sans une griffure, la multitude des galaxies. Il l’enviait et l’admirait intimidé par la grâce maîtrisée d’une main qui l’avait façonnée sans en imaginer le destin.
-J’ai tout laissé tel quel, regarde les cordes, elles sont intactes ! Lui murmura, Dan Mars.
Golane retourna instinctivement l’instrument, il le caressa de ses doigts et lu à son dos une suite de noms, où le sien était inscrit clairement. Il regarda de plus près, une généalogie humaine.
Golane jeta un regard stupéfié au vieux capitaine, ce regard qu’on les hommes surpris de trouver une partie de leurs racines là où ils ne s’attendaient pas. Une généalogie humaine, les hommes ne seraient donc pas un récit conté, une légende, mais bien, une réalité. 


Valérie Naelle








lundi 23 novembre 2015

AGHENDAR, vision d'absolue 2






Motita
Lalie Sorbet SL
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AGHENDAR


Golane 

Le dernier Maître Grône



La nuit, ses rêves le propulsaient jusqu’aux portes des nébuleuses et l’hallucination était si parfaite qu’elle lui donnait une impression de vérité stupéfiante. Il se réveillait en nage et se demandait quand Dan Mars lui donnerait enfin l'occasion de partir. Il se sentait prêt à accomplir sa destinée, navigateur stellaire, Maître Grône et comme ses prédécesseurs, il ouvrirait les portes du temps dans le continuum. Lorsque Golane s'élevait dans l'espace, ses sens se détendaient, mais ce n’est que lorsqu’il atteignait les premières étoiles qu’il se sentait réellement chez lui. Au cœur des étoiles, il était libre et oubliait les contraintes de sa nature particulière qui lui permettait de lire à travers toutes penséesEn traversant le corridor qui le menait au hangar du Spacio-Port, il reconnut quelques voix dans le grésillement des premiers feux lasers. Les Haguediens glissaient le long des parois d'un imposant bâtiment tenu par des filins et de grands bras mécaniques, ils y concentraient toute leur attention. Une odeur d'huile brûlée traînait en permanence dans le hangar, des jets de vapeurs chaudes et de flammes s'entremêlaient donnant une illusion désorganisée aux lieux. Il aperçut la carrure de son chef, le vieil homme se dirigea vers lui en se laissant propulser par un des bras d'acier. Il se pencha sur lui en souriant malicieusement.
-Quoi ! Golane, tu es encore là ? T'es vraiment le fils de Dan, j’ai hérite d'un autre malade du boulot ! 
Le vieux chef lui lança un filin métallique qu'il attrapa, Golane se jeta dans le vide sans hésiter pour se retrouver rapidement à sa hauteur. 
- Vous n'avez rien vu de particulier ce soir, demanda-t-il ?
-Ce soir, non ! Rien que toi ! Qui d'autre pourrait se promener à cette heure dans l'Aéro-Space? Golane pressentit une certaine ironie dans le ton du vieux chef.
-J'ai vu un drôle de glisseur sortir, dit-il d'un trait en observant sa réaction.
-Un glisseur, non... Tu l'as rêvé ton engin. T'étais sur quelle étoile pour m'inventer des glisseurs dans mon Aéro-Space. Rien n'entre et ne sort d'ici sans que je le sache !
-En fin de journée, après le départ de la dernière équipe du jour
- Rien que ça, mais tu t’arrêtes jamais gamin, depuis quand t’es là ? Tu dors jamais ?
- J'ai... J'ai un peu de mal à dormir ces temps-ci.
Le vieux chef lui jeta un regard plein d'amitié.
-Rien vu, rien entendu ! Suis-moi, je crois que j'ai trouvé la panne de ce tas de ferraille !  
Il s'élança tout à coup dans le vide en plaquant son filin à la dernière seconde contre la paroi du cargo et Golane suivit le vieil homme surpris par la vitalité du vieux chef. Ils parcoururent en silence le vaisseau éventré par une faille béante d'où jaillissaient des pluies d'étincelles et des fumées noires. Les Haguediens se hâtaient pour colmater la plaie, les machines s'articulaient avec précision dans le vide dans un ballet incessant et bruyant. Golane ajusta sa visière à sa vue et fit actionner les fonctions de sa combinaison dont dépendait leur survie pour travailler dans ce milieu hostile. Il ne se hâtait pas, il espérait secrètement que plus la panne persisterait, plus le temps passé dans le cargo lui procurait l'occasion d'observer le bolide fabriqué d’un seul tenant.
- Là ! Dire que cela fait des heures qu'ils cherchent. Personne n'aurait pu trouver cette panne ici... Sauf, peut-être toi, lui dit-il, d'un ton plus bas et en le regardant droit dans les yeux. 
Golane recula de tout son poids surpris, oui, il y avait une faiblesse à ce niveau, mais ce n’était pas la panne principale.
-Il a des choses qui ne m'échappent pas. Je suis d'ailleurs certain que tu as trouvé la panne principale dans ces foutus tas de tôles et... Depuis un bon moment. Tu peux tromper qui tu veux, mais pas moi, un vieux roublard qui a traversé l'univers de long en large !
Golane sentit un lourd silence traverser le vieux cargo.
- Tu diras à ton père que ma dette est payée ! Dès aujourd'hui, nous sommes quittes ! Il comprendra et je suis certain que tu as saisi aussi. C’est l’heure de quitter les lieux Golane, rentre chez-toi ! 
Le vieux chef le dévisagea comme au premier jour de leur rencontre, dix années plus tôt, avec ces même rides aux coins des yeux et cette même intensité dans le regard. 
- Pas besoin de t'inquiéter gamin, je resterai discret ! Les histoires de Dan sont trop compliquées pour moi ! Bonne chance !
Il le salua d'une main puis lança son filin hors du vaisseau. Il disparut aussitôt après l'avoir décroché d'un geste assuré.



LEA 21 by Haveit Neox...
Lalie Sobet SL
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Golane observait la silhouette du vieux chef disparaître entre les cubes d'aciers qui se déplaçaient  en crevant les nuages de fumées rouges fluides. Quand avait-il failli pour éveiller les soupçons du vieux chef. Il avait pourtant bien mesuré chacune de ses actions depuis qu'il travaillait au Spacio-Port. Il était doué pour les machines, peut-être un peu trop douées pour le vieux chef. Il lui fallait redoubler de vigilance et rester quelque temps dans l'ombre pour échapper aux soupçons de la  garde d'Hony-Pry. Il pensa, Dan va m'en vouloir.  Il  sortit  du vaisseau et contourna le flan de l'imposant vaisseau pour se retrouver au-dessus du pont de la salle de commandement. Ses sens aiguisés l'avaient toujours guidé jusque-là, une fissure imperceptible, mais vitale pour le vaisseau s'y cachait dévoilant la panne principale. Il sortit instinctivement son marqueur et d'une main assurée identifia la brèche.



AO Kahane #paparazzoted
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Il s’apprêtait à quitter les lieux pour rejoindre Dan Mars, lorsqu'une force à l’intérieur du vaisseau de commerce attira toute son attention. Il percevait clairement cette présence, une  essence sauvage qui parcourait sa peau  et enfiévrait son esprit.  Il se laissa glisser le long de la paroi pour se stabiliser sur le du nez du bâtiment.  La main posée  sur le vaisseau, il remarqua instinctivement ce même métal étrange qui lui rappelait le mystérieux glisseur. Lorsqu'il colla son regard contre la paroi sombre de l’appareil pour mieux voir, il croisa son regard.




Une étrange jeune femme le dévisageait avec surprise. Elle se penchait sur le tableau de bord du vaisseau démantelé et se concentrait sur l’ordinateur principal. Golane restait paralysé face à deux grands yeux sombres et globuleux qui le fixaient. Il pensa, sauvage, animal. Puis, elle souleva délicatement sa prothèse oculaire pour découvrir deux grands yeux couleurs cyan. Son cœur se mit à battre si fort qu'il oublia le glisseur, la paroi qui le soutenait, le filin qui le retenait dans le vide. Il crut percevoir cette même surprise chez elle, car elle fit soudain un écart comme mieux le jauger. Il fit beaucoup d'effort pour garder tous ces sens en éveil. Golane vit  à travers ses yeux, cette force furieuse, animale et sauvage. Un océan, le choc des vagues furieuses se jetant dans des vides d'absolus. Il voyait, la glace, le feu et la course effrénée des étoiles dans un ciel aux couleurs de sang. La marche des guerriers Chyrkmanes foulant des terres étranges, ils étaient là, si proche, leurs ombres armées de cuirasses avançaient inexorablement dans la nuit. Il entendait leurs chants lunaires traverser le coeur des nébuleuses et leurs faucons d'acier progresser à travers le continuum. 



Jools
ARnno PlaneR
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L’inconnue s'avança et déposa sa main contre la paroi du vaisseau, une main dont les striures se démarquaient par d’étranges lignes. C'est alors qu'il entendit sa voix, une vague bouleversante venue d'ailleurs, la mouvance d'un monde qui submergeait ses pensées, toutes les couleurs d'un monde sauvage arrivaient jusqu'à lui dans un seul regard. Elle attendait une réponse. Il posa une main fébrile sur la paroi ne sachant que lui répondre et tenta gauchement une approche plus intime en se concentrant, mais elle recula brusquement. Des voix se rapprochaient derrière lui. Puis, elle disparut aussi soudainement qu’elle lui était apparue.


Jools
ARnno PlaneR
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Golane se précipita vers le sas d'ouverture d'urgence en  contournant  le nez du vaisseau, elle avait été plus rapide que lui, comment avait-elle fait pour le berner aussi vite et si bien, pensa-t-il consterné. Il la retrouva se tenant sans filin et solidement ancrée avec habileté à la paroi lisse du vaisseau. Elle sembla surprise de le revoir, il tenta une approche en levant sa main pour lui signaler sa bonne intention, mais elle se jeta sans hésiter dans le vide de l'Aéro-Space. Il décida de ne pas la suivre afin d’éviter d’éveiller les soupçons de son entourage, quelqu’un pouvait les avoir observés. Il contempla l'inconnue s'éloigner, tel un oiseau de proie survoler les grands géants cuirassés garés quelques étages plus bas. Elle se faufila en entre les cubes pour finalement disparaître à son tour dans l'amas des fumées rouges. Hors de question de la suivre, il devait rester dans l'ombre de son personnage.
-Golane! Cria un des hommes suspendus au filin le plus proche
-T'as vu ça ! Non d'un Hague, je n'ai jamais vu ça !
Golane haussa des épaules cachant ainsi toute expression et en arborant un petit sourire. Oui, il avait déjà vu ce type d’exploit. Le cœur battant à vive allure, il se laissa glisser sur son filin, le long de la paroi du vaisseau. Il embrassa du regard  pour la dernière fois, l’atelier de l’Aéro-Space où les vaisseaux étaient alignés soigneusement, attendant patiemment l’arrivée des équipes. Il observa l’enchevêtrement des tuyaux, des fils, des câbles qui jonchaient dans le hangar dans un ordre précis. Les jets d’étincelles et la brume rouge rendaient l’atmosphère soudainement irrespirable ou était-ce lui qui respirait moins bien. Il prit la direction de la plateforme des départs avec la certitude impensable qu'il n'était plus seul. Le temps tout à coup lui avait apparu bien court, son enfance se terminait là, dans ces lieux étranges entre des brumes rouges liquides et les reflets glacés des murs du Spatio-Port d'Aghendar. Golane avançait silencieusement, il saisit brusquement la certitude qu'il ne reviendrait  jamais dans ces lieux. 
Quelque part, au bout de la nuit, là où les étoiles s'éteignent pour renaître, il y avait bien plus grand que tout ce qu'il aurait pu espérer découvrir dans une vie de Grône. Une seule lumière dans la multitude des couleurs du temps, l'intensité d'un seul son dans l'espérance des forces de la vie... Il y avait Évene.




Valérie Naelle





mercredi 11 novembre 2015

AGHENDAR, la Cité Lumière 1





Ville Futuriste
Pierre -André Gervaix

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 AGHENDAR

La Cité Lumière



Golane observait les glisseurs planer puis disparaître sur la ligne argentée de l’horizon. Ces grands oiseaux de métal à l'allure véloce parcouraient l'univers en quête de nouveaux mondes. Il attendait impatient leurs apparitions furtives dans le ciel bleu liquide en restant tapis dans l’ombre de l’Aérospace. Parfois, il lui arrivait de s'endormir à même le sol et se laissait bercer par le sifflement que dégageait la propulsion des moteurs. 
À cet instant, il lui semblait avoir toujours vécu dans la vision furtive de leur envol. Il posa sa tête contre la paroi du mur, il percevait  à travers la matière froide, la présence des faucons de métal. En se concentrant, il  pouvait distinguer nettement le frémissement de leurs ailes glisser sur la brise.
Ce jour-là, dans l'Aérospace, une légère secousse piqua sa curiosité. Il vit pour la première  fois, le glisseur qui vint se placer face à lui comme pour le défier.
Son corps fuselé et métallisé se reflétait sur le béton glacé créant l'illusion d'une fusion totale avec le sol. Ses ailes majestueuses se déplièrent, en quelques secondes. Le glisseur s’élança brusquement dans le ciel  sans émettre un son et se retrouva instantanément sur la ligne de l’horizon. Le temps d'un battement de cils, il se volatilisa dans les vapeurs opaques liquéfiées.  Golane attendit fasciné, espérant le revoir, mais il ne revint pas. 
Un étrange silence régnait dans l’Aérospace avant l'arrivée des premières équipes. Bientôt, le bruit des machines et des hommes envahirait les lieux, le Spacio-Port d’Aghendar accueillait un nombre impressionnant de vaisseaux. C’était une bâtisse située au cœur de la cité pourvue d’étages et de dédales bien organisés où hommes et machines évoluaient en binôme. Son dôme s’ouvrait sur l’espace tel un ventre énorme d’où émergeaient dans un flux régulier de gigantesques bâtiments flottants. Golane affectionnait ces moments de solitude où son esprit pouvait se détendre et évoluer librement à l’abri des éléments extérieurs. Il jeta un dernier regard sur l’horizon, les mèches rebelles de ses cheveux fouettaient son visage. 



Chaos Fear paparrazoted
ARnnO PlaneR
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Dans ses yeux se réfléchissait Aghendar qui s'étendait paresseusement le long d'un fleuve qui lui servit antérieurement de rempart. L'éclat miroirs des hautes façades resplendissait dans la nuit, telles des flammes silencieuses attisées par  les constellations d'étoiles des Mondes d'Aghendis. Des cascades de feux se déversaient sur les dômes de verre et accentuaient d'une couleur étrange les pupilles de ses yeux. Des  successions de pyramides cristallisées par les jeux de lumière s'entouraient de jardins suspendus ajoutant une impression de majesté à la cité. 


Golane posa un regard tendre sur sa ville, un regard émerveillé par un monde qui avait appartenu autrefois à ses ancêtres. Un temps où la mer de sable était alors un océan. Depuis peu, il ressentait une certaine appréhension, il avait atteint cet âge où les jeunes Grônes suivent leur première initiation de Maître et si les siens avaient encore été là, certainement qu’une grande cérémonie aurait été organisée pour son annonciation. Golane avait conscience d'être le dernier descendant des hommes d’Aghendis, le dernier d’une longue lignée de Maître Grône. Aghendis régit par le dictateur, Hony-Pry avait poursuivi et décimé son peuple. Derrière les murs transparents, il n'oubliait pas le prix du sang payé par les Maître Grônes pour le sauver de l'extinction finale. Il ne gardait en lui aucune haine, juste l'immensité de sa peine qui le submergeait en ce triste jour. Je suis le dernier murmura-t-il, le regard noyé dans les  bleus de sa cité. Les constellations d'Aghendis semblaient répondre à sa voix, sous des pluies d'étoiles, en resplendissant de mille feux. Golane percevait le chant des astres à travers les myriades d'étoiles, elles traversaient le temps en pulsions et enivraient son sang. 
Le silence qui occupait son esprit lui pesait bien plus que cette peine effrayante qui l'avait longtemps accompagnée. Il conservait ce besoin de partager ses pensées et luttait contre le poids de la solitude. Le souvenir de ses pères l'habitait et hantait chaque pierre des Terres de feu qui s'étendaient bien au-delà de toute imagination. Les mondes d'Aghendis traversaient le temps outrepassant les confins  de l'ultime barrière de l’envers univers. Les stations de ravitaillement, gigantesques et semblables à de grands îlots de métal voyageaient dans l’infini et scintillaient tels des joyaux posés sur le velours noir de l'espace. Elles peuplaient l'espace avec autant d'émigrants à son bord que d'étoiles parcouraient les univers connus. Golane pressentit qu’il lui faudrait un jour quitter sa cité et emporter avec lui le souvenir de ce monde avec son enfance. À cette pensée, une douleur presque cruelle persécuta son esprit. Dans ces moments, il lui semblait que l'univers embrassait tout son être d'une fièvre brûlante et propulsait son imagination loin des mondes connus à des vitesses que lui seule  pouvait percevoir. 


Little town-Paysage
Little town by Cica Ghoste
Lalie Sorbet SL
https://www.flickr.com/photos/87359584@N04/


Golane marcha en prenant soin de garder son équilibre, il suivit la paroi qui bordait le Spatio-Port sans se soucier du vide sous ses pieds, le glisseur accaparait encore toute son attention. Sa silhouette se dessinait sur les murs, sa carrure déjà très imposante trompait son âge, on le confondait parmi les hommes. Il ouvrit ses mains, des lignes inhabituelles en striaient les paumes et le trahissaient, il demeurerait aux yeux de ce monde, un Grône, un paria, un survivant parmi les Haguediens. 
Il protégeait le secret de ces lignes dans une prothèse de camouflage qu’il avait conçu personnellement. Il pensait à Dan Mars, son père adoptif qui partageait son secret et qui l’élevait tel son fils, fidèle à une promesse donnée à son père dix ans plus tôt. Golane protégeait dans son errance, tous ses souvenirs, quelque part entre des bleus et des rouges emplis de profonds secrets. Aghendar, pensa-t-il, en observant les lignes de ses paumes et le cœur triste...
Un jour, je reviendrais ! 


Valérie Naelle





Un petit mot de l'écrivaillon :

Vous venez de lire l'extrait d'un texte que j'ai divisé en quatre volets afin de l'alléger au mieux. J'ai une pensée tendre pour nos amis photographes et créateurs de Flickr qui ont donné leurs accords pour la participation de leurs photos et de leurs créations dans mes pages. 
Merci à Lalie Sorbet SL, ARnnO PlaneR et Pierre-André Gervaix.
Sans la magie de leurs talents, mes petites pages n'auraient de si jolies couleurs. C'est toujours avec une grande attention que je les suis très régulièrement sur Flickr.










Aghendar en quatre volets : 

1/2 La Cité Lumière
2/4 Vision d'absolue 
3/4 La Mer des Tranquillités
4/4 Les Chants du Pacifique




lundi 22 juin 2015

L'OMBRE DE LA LUNE




Lesud07




L’ombre de la lune


L'ombre de la lune
Vague sur ma joue
L'ombre de ton flanc
Effleure ma bouche
Délice de mes nuits
Tu es l'onde
Mille perles
Ô ivresse
Étanche  ma soif

L’Insolite traverse ma nuit
Tête couchée au pinacle
De mes sommets incurvés
Mains liées et corps enlacés
Gorgée d’opaques saveurs
Elle se blottit sans bruit
Sur mon sein et sur ma bouche
Usée de courir en mon jardin
Épuisée, elle s'endort radieuse

L’ombre galante
Trouble mon souffle
L’ombre de ta source
Je la devine pure
Divine eau
Elle se répand lumineuse
Fraîche  et secrète
À la dérobée
Sur mes lèvres

Boire à ta fontaine
Boire
En ton
Antre


Valérie Naelle



Lesud07







https://www.flickr.com/photos/lesud07/6828820565/in/faves-131200289@N07/

vendredi 12 juin 2015

MA BELLE EMBELLIE





Silence de N.H. Nouredine



Ma belle embellie


Abandonnée aux vagues
Ma pensée divague
Ma belle embellie surnage
Indécise sans lignage
Ma ferveur respire solitaire
Vide sans locataire
Mon étoile luit sage
Libre d'un souffle sauvage

Mes mots chutent telles des mouettes rieuses
Les ailes voltigeant sous des pressions joyeuses
Ma belle embellie, cette sirène sonne
Contre vents et marées, elle se donne
À cette houle qui lamine mes hauts-fonds
Mon cœur assassine tous sentiments profonds
Ces pulsions douées de fortes dépressions
Ont des vigueurs trop rudes sans initiations

Vos plages avaient un goût d’anis
L’abîme trouble d’un bel abysse
Où s’évaporaient des nuages mouvants
Dans le silence des brisants dérivants
Ma belle embellie avait vos yeux
Le tracé d’un horizon radieux
Immobile, les bras ouverts aux vents
Ingénue, je vous espérais en survivant

Ma raison se vide et tangue
Sur ma peau et sur ma langue
Ce goût de sel, c’est la vie hors lassitude
Juste quelques clapotis sans certitude
Où s'abattent des murs d’absolus
Le silence parle et me dit sans superflus
Toutes les couleurs rendent dérisoire
Les ondes amères non-potables à boire

Ma belle embellie, ma belle accalmie
Je scelle à vos lettres ma Belle Amie
La douceur tranquille d’une folle pensée
À ces coups de mer, j’ai résisté sans me froisser
Mon cœur vaincu a trouvé sur le lit du vent
Face à l’océan cette amène latitude en écrivant
Non plus à lui ! Je perds mon temps !
Pourtant, j’offre un dernier baisé à l’impénitent

Des choix d'une mauvaise de pioche
Ont eu raison de ma pétoche
Ma seule fortune en poche
Ma belle embellie mime Gavroche
À son fardeau, elle accroche
Une longue file de fantoches
Me direz-vous en riant telles ces roches
Que rien n’est fastoche ?

Ma belle embellie lutine libre
À contrepoids en équilibre
Telles ces mouettes rieuses
Elle s’est glissée sur les soyeuses
D’un miroir d’eau à Beaux Rivages
Leurs réflexions ont délesté des breuvages
Ces vagues à l’âme ont chaviré assurément
Pour un papillon, c’est vivre intensément

Passionnément !


Valérie Naelle



"Pour être dans une solitude absolue, il faut aimer d'un amour absolu"
Christian Bobin