"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

mercredi 9 décembre 2015

AGHENDAR , les chants du Pacifique 4




AGHENDAR
Les Mondes Chirkmanes


Papillons 1
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang/






Mars observait la réaction de son fils, celui-ci avait posé la feuille sur la table. Il contempla silencieux l’instrument, puis il le cala contre lui pour l’ajuster à son corps. Ses doigts trouvèrent instinctivement leurs places et un son étrange s'échappa de l’instrument. Il replaça ses doigts en insistant sur les cordes qui se mirent à vibrer et les sons traversèrent la maison. Mars vit alors se dessiner sur son visage, un grand sourire et ses ses yeux prirent un éclat particulier. À cet instant, il revit un fantôme, son ami Price, ils étaient frères d'armes.  Il l'avait perdu lors de son dernier voyage, une perte dont jamais, il n’avait pu se faire pardonner. Aussi, dès que l’occasion put se faire, il avait aussitôt protégé l'enfant et sa mère des dernières rafles d’Hony-Pry. Il avait vécu sur l’île à la clause d’Hony-Pry de ne jamais les laisser quitter l’île. La peine s’était allégée avec le temps, mais Dénevia ne s’était jamais remise de la mort de Price. Durant des années, il avait senti peser sur ses épaules la responsabilité de la mort de son ami, puis sa douleur s'était allégée avec la présence de l'enfant. Golane avait rempli sa maison d'une quiétude dont il n'aurait alors soupçonné l'existence. Il avait aimé secrètement cette femme Grône et s’était défendu de cet amour en parcourant le continuum, en poussant toujours plus loin son voyage d'étoile en étoile, de planète en planète, mais le Maître Grône avait payé de sa vie leur amitié. Dans sa solitude, Dan Mars avait compris à l'instant où il avait eu l'instrument en main que l'objet reviendrait un jour dans son monde. L’envers univers était à présent aux mains  d'Aghendis, Price avait trouvé et ouvert La Porte pour un millénaire de générations. Golane sur les traces de son père, il pouvait désormais quitter ce monde en toute sérénité. Il avait tenu sa parole, La Prophétie des Maîtres Grônes s’accomplirait et la chute de l’Empire n'était plus qu’une question de temps. Il regardait l’adolescent, cette réplique à l’identique de son meilleur ami. Il songeait à un lieu bien plus vaste que le Pacifique, un océan qui pouvait se montrer aussi généreux dans le pouvoir de guérir qu'aussi terrifiant si vous n'étiez pas élu. Price avait bu à cette eau, mais ils étaient arrivés trop tard et le corps de son ami était resté inanimé dans l'océan. Il s’en est allé dans l’autre monde lui avait dit le guerrier Chirkmane. Il avait gardé son corps dans ses bras pour le bercer et le pleurer sous la voûte étoilée d'un ciel inconnu et déposé en terre son corps sous les chants des guerriers. Dan Mars avait tant espéré, mais en vain pour Price, une seconde chance, mais il était revenu avec ce fardeau terrible.



Masque de pierre, jardins Palais Longchamp- Marseille
Pop H
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Le nom de Price avait été chanté, puis gravé sur une Pierre-de-Lune, un son  qui poursuivrait sa quête à travers  le continuum de génération en génération Chirkmane. C’est ainsi que l’on obtient l’infini lui avait dit le guerrier Chirkmane, ta peine disparaîtra dans la multitude du temps. La vie n’est qu’un sursis face à la mort, seul compte la mémoire de ton ami dans le temps. Dan Mars avait saisi le chant des Chirkmanes, le sursis de Price avait pris la forme ronde et gracieuse d’une femelle élue. Il avait vu naître l’impensable, une enfant mi-Grône et mi-Chirkmane, l’océan était-il responsable de cet étrange phénomène. Il ne le saura jamais. La vie trouve toujours son chemin, lui avait dit le guerrier. 


Third World Creatures...
Lalie Sorbet SL
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Il était resté plusieurs mois sur leur planète, le temps de réparer son vaisseau, assez de temps pour reconnaître en l’enfant les traits de son père et la force redoutable de sa mère. 
Price laissait derrière lui un cadeau effrayant à l'Empire. Une lignée de Maîtres Grônes franchissant l’espace guidée par une femelle honorée en mère des futures générations Chirkmanes. Le sang des Grônes était incompatible aux Aghendiens et il n’en connaissait pas la raison. Lui-même ne savait comment il avait été conçu, il était le produit contrôlé des Bulles de fer. La notion de père et de mère n’était propre qu’aux Grônes et au reste de l'univers. Ce fut l'une des découvertes de son voyage au-delà de l’envers univers.
Golane observait le vieux capitaine, il apprenait avec stupéfaction qu’il n’était pas que le fils de Price. Une certaine ressemblance avait joué en cette faveur, Hony-Pry en avait-il eu vent pour les avoir laissé vivre sur l’île. Il observait son père, un vieil homme aveuglé par son amitié. Price l’avait suivi au-delà des étoiles afin qu’il puisse à son tour le protéger de l'Empire . Price était un Maître incontestable, ses visions comme sa fidélité à cette amitié n’avaient eu de limite. La vue de la jeune femme  lui revint, une Chirkmane, pensa-t-il, il était amoureux d’un être redoutable et sauvage, il aimait son ennemi. 
Golane cala l’instrument contre lui et se mit à jouer. Il joua si bien qu’il ne sentit pas la nuit croître et illuminer les deux lunes d’Aghendar. Le Pacifique entendit son chant et répondit à son enfant en se drapant d’une nappe lumineuse chargée d’émeraude. Sur ces verts subtils, il percevait à travers la clameur des vagues qui se déchargeaient sur la plage, la déflagration de ses propres pensées qui le bouleversaient. 
Il y eut cette vibration nouvelle qui se mit à résonner sur l’eau et dans le ciel où L’infini saisissait la pulsation d’un cœur d’enfant qui découvrait son premier amour. Les étoiles écoutaient silencieuses, le chant d’un futur capitaine de vaisseau qui découvrait son meilleur ami pour supporter la solitude de l’espace. Les Mondes d'Aghendis accueillaient dans sa plus belle nuit, celle où les deux lunes ne font plus qu’une sur Aghendar, la naissance du dernier Maître Grône.



Valérie Naelle

jeudi 3 décembre 2015

AGHENDAR, la Mer des Tranquillités 3





ARnno PlanneR
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AGHENDAR



HAVRE DE PAIX




Golane était persuadé d’être le dernier Grônes, se pourrait-il qu’il en reste encore dans cet univers ou ailleurs et si oui pourquoi ne l’avait-il pas perçu plus tôt, pensa-t-il soucieux.  Il ne l’avait absolument pas perçu, il avait la quasi-certitude qu'elle n'était pas un Grône. Elle était autre chose, mais quoi ? Il se sentait désemparé par cette rencontre inattendue. L’univers est peuplé de tant de diversités d’êtres, qu’il ne saurait sans doute jamais à quelle  espèce, elle appartenait. Non, pensa-t-il, elle ne pouvait être un Grône, pourtant... 
Il traversa le corridor qui le menait à la plate-forme réservée au personnel qui baignait à cette heure dans un calme intemporel. Le Spatio-Port allait lui manquer, la chaleur dégagée par le feu des soudures, l’odeur du métal en fusion et le bruit assourdissant des machines qui rendaient le lieu comme le plus ardu d'Aghendar. L'Académie spatiale d’Aghendar ne l’attendait pas. Pourtant, il nourrissait la folle espérance de finir capitaine comme son père et entrevoyait son destin avec l’émerveillement d’un jeune enfant. L’aircar l’attendait sous le portail  des départs, il s’élança vers l’appareil qui s'ouvrit  et s’y jeta d’un bond et se retrouva aux commandes avec un petit sourire fier. Certes, son aircar n’avait rien d’un rapace, mais il était son seul bien. Il l’avait construit avec une infinie patience et l’avait vu prendre forme, jour après jour. Son œuvre terminé, il l’avait transporté jusqu’au hangar où l’attendait ahuri l’équipe qui partageait son travail quotidien. Au premier essai, sa vitesse de propulsion avait interpellé le vieux chef qui avait étudié les plans de l’appareil avec une grande attention.


Machine Volante
Pierre-André Gervaix
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 L’aircar s’élança dans le vide, forma une boucle au-dessus de l’Aérospace. Golane poussa au plus fort la vitesse de son vaisseau qui le mena au-dessus de la ville, gigantesque, tentaculaire. Les lumières de la cité, multitudes étincelles de feux se confondaient avec les étoiles. Le Spatio-Port lui sembla tout à coup très petit. Il se laissa porter profitant des vents ascendants   et se dirigea vers le bras du fleuve qu’il suivit paisiblement. Il laissait derrière lui, les murs de pierre, les tours de cristal pour entamer son ascension vers la Mer des Tranquillités. Dan Mars l’attendait avec une surprise, il se doutait de l'annonce qu'il allait lui faire, mais à cet instant, une foule de questions l'assaillaient et le déconcentraient.




Il  poursuivit sa course en se laissant  glisser entre les dunes de sable. Elles ondulaient et serpentaient à travers le désert de Moghar jusqu'à l'embouchure des terres bleues. Il prit un couloir de lumière, les yeux éblouis par l'étendue limpide et prit le cap pour l'île. Golane était content, il arriverait juste à temps pour la Tombée des deux lunes. Il contemplait La Mer des Tranquillités, elle portait  bien son nom, il est vrai qu’il ne l’avait jamais vu gronder. Les anciens l’appelaient, Pacifique, Golane aimait bien ce nom étrange emprunté à une langue très ancienne. Pacifique, pensa-t-il tout haut, Pacifique, puis le  silence absorba l’intérieur du vaisseau.  Derrière lui, les dunes immobiles s’évaporaient happées par les souffles de sable, les jaunes et ocres de la terre avaient cédé place à une vaste nappe bleue aux reflets mélancoliques. Sous le vaisseau, la surface de l’eau respirait par des ondulations troubles qui rappelaient à Golane, le clair des yeux de son inconnue. À mesures que défilaient les coordonnées de sa destination, il soupçonnait au loin l’île, mais ses pensées restaient troublées par sa rencontre. 



Paysage
Pierre-André Gervaix
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Le vaisseau repéra la plage et ouvrit ses ailes pour se poser sur le sable. Golane excellait dans cet exercice. Dan Mars observait son fils de la terrasse de sa maison en souriant, car pas un grain de sable ne s’était soulevé lors de son atterrissage. Tout était resté figé dans une singulière immobilité. Là où certains se posaient dans un bruit ahurissant faisant voltiger des gerbes de sables, Golane avec une facilité déconcertante atterrissait son appareil dans l’immobilité des éléments. Il le vit se dégager de son aircar d’un geste sec et prendre d’un pas nerveux sa direction. 





-Tu es bien le fils de Price, lui seul se posait de la sorte, tu as le même don ! Golane approche, dans mes bras ! Mes os ne sont plus aussi rapides qu’avant, lui dit-il en riant.
Il le pressa aussi fort qu’il le put contre lui comme s’il eut été un jeune enfant. Il perçut un trouble l'embarrasser et prit le temps de croiser ses yeux comme pour mieux le jauger. En effet, quelque chose d’inhabituel l’avait troublé. Dan Mars, cet intrépide capitaine était revenu avec une grande partie de sa flotte de l’envers univers. Il avait été le premier à découvrir la Porte, ce passage tant recherché qui vous propulsait de l’autre côté du Grand Néant comme le nommaient les hommes d’équipage. Il avait été promu à un tel degré de remerciement pour sa découverte qu’Hony-Pry en personne lui avait cédé l'île, une perle au milieu de l’océan. Aucun Haguedien du vivant D’Hony-Pry n’avait obtenu une telle distinction. La découverte des mondes situés au-delà des galaxies connues explosaient en connaissances et en valeurs marchandes et la Porte offrait des perspectives financières sans limite aux Maisons-Mères d’Aghendar. Dan Mars avait fait ériger cette petite maison sur un petit rocher, en amont de l’unique plage de l’île. De là, le vieil homme pouvait admirer, la Mer des Tranquillités avec toutes ses couleurs, loin des bruits assourdissants d'Aghendar.
L’intérieur était d’une grande sobriété, au mur, il avait accroché très sommairement quelque pièces originales ramenées de ses voyages. Golane laissait son regard s’y promener s’abandonnant au rêve fou d’y parvenir un jour à son tour. Dan Mars s’était absenté avec ce regard qui promettait quelques surprises. Il l’attendit en se dirigeant sur la terrasse de la maison. Il voulait voir les Terres bleues, sentir l’air salé dans ses poumons et profiter des dernières lumières du jour.

Goodnight Tale
Pierre-André Gervaix
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Son regard contemplait La Mer des Tranquillités avec ses deux lunes qui prenaient à cette heure, une couleur d’opalescence. Il aimait ce moment où la nuit et le jour s’affrontaient et se confondaient. L’étendue bleue accentuait son trouble sans qu’il puisse s’en défendre.
Comment l’envers univers était-il, il y avait tant de questions, mais où donc est passé ce vieux fou pensa-t-il affectueusement. Il l’entendit, s’avancer derrière lui, d’un pas léger




-Golane, j’ai deux surprises, la première, je te l’annonce, tu as été pris sur le Galion Aghendis IV et... Tu les sais déjà ? Bien ! Mais, cela, tu ne t’y attendais pas !
Le vieil homme lui tendit fièrement un drôle d’objet.
-Qu’est-ce ? Il le prit dans ses bras, non, il ne s’y attendait pas. Il l’évalua, son poids n’était pas bien gênant.
- Cet objet, une vieille chose. En fait, à part, cette île et cet objet et bien entendu, mon uniforme, c’est l’une des seules valeurs que j’ai pu garder en ma possession. 
Golane ne s’attendait absolument pas à cette surprise. Le bois était lisse et doux sous sa main. Il percevait que l’on avait pris soin de l’objet et le tenait en respect pour avoir traversé sans une griffure, la multitude des galaxies. Il l’enviait et l’admirait intimidé par la grâce maîtrisée d’une main qui l’avait façonnée sans en imaginer le destin.
-J’ai tout laissé tel quel, regarde les cordes, elles sont intactes ! Lui murmura, Dan Mars.
Golane retourna instinctivement l’instrument, il le caressa de ses doigts et lu à son dos une suite de noms, où le sien était inscrit clairement. Il regarda de plus près, une généalogie humaine.
Golane jeta un regard stupéfié au vieux capitaine, ce regard qu’on les hommes surpris de trouver une partie de leurs racines là où ils ne s’attendaient pas. Une généalogie humaine, les hommes ne seraient donc pas un récit conté, une légende, mais bien, une réalité. 


Valérie Naelle