"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

jeudi 2 mars 2017

L'instant de la Truite Arc-en-Ciel (1)




"Sirène" de Ciloon 


L’instant de la Truite Arc-en-Ciel (I)
de Valérie Naelle


L'enfance miraculeuse


E
n traversant les prés jusqu'à la lisière des bois, foulant les parterres d’herbes folles, où de fières pâquerettes à têtes blanches resplendissaient dans la clarté du jour, il perçut qu’une chose  résolue changerait sa vie. Il posa pour la première fois son regard sur la maison et ce fut avec des yeux d’enfant ébloui par l’éclat des prairies qui l'entouraient. 
À perte de vue, de larges bandes rectilignes jaunes s'étendaient jusqu'à dévorer l'horizon, comme si une main prévenante avait façonné puis laqué de lumière la terre. Le soleil, une boule brûlante suspendue dans le bleu du ciel semblait s'impatienter dans les premiers rayons du jour. 
Les belles sorcières dansaient dans la douce lumière du matin, en un ballet étourdissant de plumes légères. Elles s’envolaient rebelles et impalpables à l’assaut des vents en prenant la direction de la rivière. Un souffle frais parfumait l’air, murmurait d’un léger courant l’étendue rayonnante des feux dorés du soleil.
Son seul ballot sur les épaules, le poids de son corps, il avait suivi sagement le cortège jusqu'à la grande maison. À mesure qu'il avançait, des mèches rebelles balayaient l’ovale de son visage. Il remarqua le ciel taché de nuages, des mousses précipitées qui disparaissaient au-delà des clairières pour mourir. Leurs silhouettes se distinguaient nettement sur l'horizon, le cortège s’était posté devant la bâtisse en une suite de petits personnages sombres et silencieux comme découpés sur la toile du ciel. L’édifice surplombait d’un seul regard toute la vallée siégeant telle une forteresse bienveillante. Ses larges fenêtres s’ouvraient sur un jardin qui sommeillait à l’ombre d’arbres centenaires. Les lierres grimpaient sur les murs laissant apparaître un peu de jaune, un peu de rouge au crépi usé traversé par les âges tels une antique peau que l'on désirait embellir.
Les rosiers s’y agrippaient et leurs bourgeons éclataient par endroits tels de petits soleils croisant, ici et là, les nœuds de glycines.
Toutes les pièces baignaient dans un beau silence où seul le chant des cigales troublait cette quiétude en notes régulières et mélodieuses. La porte à peine entrouverte sur ce Nouveau Monde, rien n’aurait pu lui faire percevoir l’existence de ces lieux propices à engendrer l'imagination. Il entrait le cœur pur dans ce vase de sérénité où régnait une douceur de vivre appelant toutes les émotions de l’enfance, à ces regards penchés sur les choses simples de ce monde.Il observait au loin, silencieux, coupé des bruits assourdissants de notre monde, la danse désarticulée des libellules voltigeant à la cime des hautes herbes folles qui embrassaient le cours de la rivière.


"Libellule en vol"
Charlie Lamare


"Il observait au loin, silencieux, coupé des bruits assourdissants de notre monde, la danse désarticulée des libellules voltigeant à la cime des hautes herbes folles qui embrassaient le cours de la rivière"



"Ponton" un après-midi méditatif 
Jeff









"La porte à peine entrouverte sur ce Nouveau Monde, rien n’aurait pu lui faire percevoir l’existence de ces lieux propices à engendrer l'imagination"


Au soir de sa vie
Le temps s’était écoulé telle une eau dont la source s’était répandue pour se tarir là, à l’orée d’un monde qui s’échappait de ses veines.
Au soir de sa vie, il saisit cette fuite du temps et ferma pour la dernière fois les volets de sa chambre. Son regard s’était éloigné rêveur au-delà des coteaux et des pentes escarpées couverts des brumes matinales. Les couleurs de l’automne stuquaient les forêts et les prairies d’une nouvelle palette, un mélange velouté d'or et d’ocre pigmentait la terre tel un manteau de fauve.
Il contemplait le corps harassé, la valse insouciante des feuilles qui tourbillonnaient poussées par le vent. Son souffle lui parvint tel un murmure apportant un message.
Un écho grave en surgit comme arraché des profondeurs d’un âge si ancien que les hommes en avaient oublié le langage.
Le front posé contre la vitre, il contemplait, dans le ciel entre bleu et gris, le vol des grues qui s’éloignait intemporel. Elles venaient là, chaque année, et couvraient de taches blanches la surface polie de la rivière.
Leurs ailes déployées effleuraient dans un long silence les reflets verts dorés d’une eau profonde. Son enfance était là quelque part dans leurs ombres déformées qui se détachaient de la surface de l’eau.
À l'unisson, d'un seul corps, il les vit prendre soudainement de l’altitude traçant dans le ciel des cercles et crevant les nuages de leurs becs. Puis, guidées d’une inspiration nouvelle, elles s’éloignèrent dans la direction du sud. Il les regarda disparaître entre brume et pluie fine happées par l’horizon.
Il retrouvait dans les battements de leurs ailes, son enfance, la rivière en cette journée de pluie et le souvenir d’une curieuse enfant, celle d’une fillette assise au bord d’un ponton, les pieds nus se balançant dans le vide effleurant la surface de l’eau.
Elle portait un chapeau de tissus blanc noué délicatement d’un ruban bleu agrémenté d’un petit papillon blanc en dentelle. Une mèche de ses cheveux se dessinait en une boucle souple sur son cou gracile et se posait délicatement sur l’une de ses épaules.
D’une main, elle avait dégagé cette boucle puis l’avait glissée dans un chignon improvisé en relevant la tête comme pour parfaire son geste. Ses grands yeux clairs se posèrent sur lui, l’enfant de la ville.
C’est ainsi qu’il la vit pour la première, un bref instant qui resta si profondément gravé dans sa mémoire qu’il lui arrivait parfois de la voir dans ses rêves. Jamais aucun regard humain ne vit rien d’aussi intense beauté, encore qu’âgé à peine de cinq ans et bien plus jeune qu’elle, il ne pouvait alors concevoir tout l’impact de cette rencontre.
Il était resté là, bouche bée, émerveillé et perdu dans le clair de ses yeux qui semblaient rire sans qu'étonnamment qu’aucun sourire ne se signait sur son visage.



"Un sourire de vacances" Sur un petit Pont à Port-Grimaud
de Chris Dève


Je remercie les photographes de Flickr pour leur participation à mes pages, de leur enthousiasme qui les pousse à cette quête de beauté et d'absolu. N'hésitez pas à suivre leurs liens afin d'admirer leur remarquable travail.

Valérie Naelle


"Sirène" de Ciloon
Tchoun on DeviantArt
http://www.ciloon.fr/

"Libellule en vol" de Charlie Lamare
https://www.flickr.com/mail/?sentmail=1

"Ponton" un après-midi méditatif de Jeff
https://www.flickr.com/photos/jeff38/8100188863/in/faves-131200289@N07/

"Un sourire de vacances, sur un petit pont à Port-Grimaud"de Chris Dève
http://www.flickr.com/photos/chrisdeve/7780030780/

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