"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

samedi 4 mars 2017

L'instant de la Truite Arc-en-Ciel (2)





"Emma" 



La Maison des êtres Rêvés

Elle se leva sans le quitter du regard, l’air battait sa robe de dentelle blanche. Elle marcha dans sa direction, puis s’immobilisa comme arrêtée à la limite du monde.
L’instant ne dura que quelques secondes, une truite arc-en-ciel se souleva des eaux et en éclaboussa la surface. Une pluie fine se mit à tomber, filtrant les rayons du soleil, troublant le flux régulier de l’eau en éclat de perles lumineuses. C’est alors qu’il la vit plonger dans la rivière et suivre les remous du poisson sauvage. Elle nagea une longue brasse sous l’eau, les boucles de ses cheveux se dispersèrent à la surface formant le contour vague d’une aile d’ange puis, elle disparut aussi brusquement qu’elle lui était apparue.
Dès cet instant, son cœur s’était mis à battre comme au premier jour de sa naissance et il ne cessa de battre durant toute une vie pour deux perles opalines et une mèche de cheveux tombant négligemment sur une épaule d’enfant. 
Il ne la revit jamais, ce n’est pourtant pas faute de l’avoir désespérément cherché toute sa vie. Son corps changeait, mais son cœur restait amoureux avec cette constance qu’ont les âmes pures à aimer. Il regagnait chaque fois qu’il lui fut possible la maison de son enfance où il ne manquait jamais de revenir sur le ponton espérant la retrouver.
Les années qui suivirent ne prirent leur importance que dans l’attente du parcours qui guidait ses pas jusqu'aux portes de sa bâtisse. 
À son fronton, une inscription avait été gravée, un regard posé sur la pierre, l’on pouvait sans résultat en déchiffrer le contenu. Le temps avait épuisé la roche et rendu la phrase à peine lisible. Chaque été, lorsqu'il en ouvrait enfin l’accès de sa maison après l'attente interminable des jours passés en ville, le temps s’arrêtait au seuil de ce nouveau monde dont lui seul avait les clefs et les secrets.
Le temps avait fini par peindre dans ses cheveux de son mystérieux pinceau, les couleurs de l’hiver. Au plus beau jour de sa vie, il choisit de clore les pages de son existence à la recherche de son rêve. 
Ce fut avec une profonde tristesse qu’il quittât la maison de son enfance et qu’il descendit, pour une dernière fois, les escaliers de bois qui le menaient à la rive.



"Le Héron Bleu"
Dan


C

’est alors qu’une chose étonnante se passa, il pouvait nettement lire au fronton de sa maison les inscriptions gravées dans la pierre. Son cœur se mit à battre si fort que sa poitrine gonflée par ce nouveau souffle lui fit atrocement mal.
Puis, se retournant, il la revit l’instant d’un souffle sublimé par l’intensité d’un regard d’enfant. Cet instant qui vous porte toute votre vie et vous pousse à parcourir le monde à la recherche de ce rêve qui n'existe nulle part ailleurs qu’au plus profond de votre cœur. 
Elle sortit de l’eau et longea la rive, il se mit à la suivre où chaque seconde passée semblait se consumer interminablement. Il franchit en haletant les hautes herbes et les fougères arborescentes en dévalant le chemin escarpé qui menait à la rivière. Il se retrouva là, debout, essoufflé, attendant quelques sortilèges pour retenir l’amour de sa vie. Lorsque ses yeux se posèrent sur ses mains, il comprit l’essence ultime de sa quête. 
Il avait cinq ans, toute sa vie, il avait eu cinq ans, il avait gardé en lui cet âge doux des âmes pures qui parfois s’oublient, les Âmes des Êtres Rêvés et sa maison en avait été le château. 
Elle était là, elle le regardait avec ce léger sourire qu’ont les anges lorsqu'ils s’apprêtent à faire quelques bêtises, pris en flagrant délit, le doigt plongé dans le pot de confitures.
Il goûtait avec délice cet instant de magie absolue tel au jour où il la vit pour la première fois. Le temps arrêté le renvoyait à cet instant unique dont la magie avait empli son cœur et mené aux choses les plus simples, celles de son enfance.
Elles avaient grandi en lui et sans s’en apercevoir, il n’avait pu saisir qu’elles n’étaient pas seulement en lui mais qu’elles faisaient partie de cet être, de cet homme dont il possédait le corps.
Une truite arc-en-ciel se souleva des eaux sombres de la rivière, elle éclaboussa la surface polie par les rayons du soleil. Une pluie fine se mit à tomber, le soleil perça les nuages et la lumière se répandit à la surface de l’eau créant des remous de perles opalines. 
La fillette au chignon mal ajusté murmura une phrase que seul son cœur pouvait déchiffrer où les mots avaient traversé le temps pour finalement lui parvenir. Ces mots lui soufflaient la vie, tous les secrets, toutes les questions et les réponses qui l’avaient assailli au long de son existence.
Puis, elle plongea dans l’eau, il l’a suivi sans hésiter. Il nagea aussi fort que cela lui fut possible et jusqu'à l’épuisement.
Est-ce ainsi que les cœurs amoureux se retrouvent ? Personne ne le sait et ne le saura jamais. Après une vie bien consumée, il trouva sur une autre rive tous les fruits de son enfance et la certitude d’avoir et de savoir les choses les plus simples.




Opaline





Sambatra izay mahita ny làlana mankany amin'ny zavatra tsotra
Sambatra, ireo izay efa nitandrina ny zanany ny fanahy
sy tena tsara iray tsy manam-paharoa halehiben'ny fitiavana
Tonga soa ho anao, tao an-tranon'i nanonofy olombelona
Nos marins racontent que certains jours sont meilleurs que d’autres, ces jours où l’on ne sait pourquoi la nature est si bonne avec l’homme, que la pêche à la truite est comme miraculeuse. Lorsque leurs bateaux entrent en direction du port brisant les eaux floues qui les assaillent, cherchant désespérément dans les ténèbres salées, leurs voies à la lueur du phare, ils perçoivent au loin sur la berge une étrange vision. 
Le ciel obscurci se dégage à l’embouchure, la lumière soulève lentement au-dessus des eaux froides, une brume étrange qui caresse l’eau.
À un moment précis de cette journée, entre pluies fines et ciel d’un bleu étincelant, ils peuvent observer la silhouette floue de deux enfants qui courent et qui se tiennent par la main. La chose pourrait sembler assez banale, si ce n’est qu'évoquant cette furtive vision, ils s’étaient rendu compte qu’ils parlaient des mêmes enfants au même moment, mais à des endroits différents.
Cet instant, ils la nomment, L’instant de la truite Arc-en-Ciel. Cet instant où le sel de la mer se fusionne aux eaux douces de la rivière, d’une étreinte perpétuelle sans jamais qu’aucun des deux ne s’étreignent.
Lorsque vous aurez un peu de temps pour les choses, les plus simples, changez votre route, bifurquez et prenez celle qui mène à vos inspirations, pourquoi pas à celles de votre enfance.
Puis, sans doute, vous arrêterez-vous un jour devant ma maison, celle des Êtres Rêvés. Une maison dont la peau usée par le temps se couvre de lierres et de glycines.
Vous la reconnaîtrez, car à son fronton sont gravées ces quatre phrases. 



Valérie Naelle


"Clos Pichat-Parc Pichat-Pierres dorées"
Vallée d'Azergues
de tamycoladelyves

Heureux, celles et ceux qui trouvent leurs chemins aux choses les plus simples
Heureux, celles et ceux qui ont su garder leur âme d’enfant
Et la sublime grandeur d’un amour unique
Bienvenue, à vous dans la maison des Êtres Rêvés

Valérie Naelle



Je remercie les photographes de Flickr pour leur participation à mes pages, de leur enthousiasme qui les pousse à cette quête de beauté et d'absolu. N'hésitez pas à faire un pas sur leurs liens afin d'admirer leur remarquable travail.


« Emma » et Emma "Explored" de 7ns (****)
https://www.flickr.com/photos/by_7ns/14865621068/in/faves-131200289@N07/

"Le Héron bBleu" dans jardin botanique de Montréal de Meunière Dan

Clos Prichat- Parc Prichat-Vallée de Vezègues de Tamycoladelyves
https://www.flickr.com/photos/natureboheme/collections/72157631539294114/

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