"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

jeudi 3 décembre 2015

AGHENDAR, la Mer des Tranquillités 3





ARnno PlanneR
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AGHENDAR



HAVRE DE PAIX




Golane était persuadé d’être le dernier Grônes, se pourrait-il qu’il en reste encore dans cet univers ou ailleurs et si oui pourquoi ne l’avait-il pas perçu plus tôt, pensa-t-il soucieux.  Il ne l’avait absolument pas perçu, il avait la quasi-certitude qu'elle n'était pas un Grône. Elle était autre chose, mais quoi ? Il se sentait désemparé par cette rencontre inattendue. L’univers est peuplé de tant de diversités d’êtres, qu’il ne saurait sans doute jamais à quelle  espèce, elle appartenait. Non, pensa-t-il, elle ne pouvait être un Grône, pourtant... 
Il traversa le corridor qui le menait à la plate-forme réservée au personnel qui baignait à cette heure dans un calme intemporel. Le Spatio-Port allait lui manquer, la chaleur dégagée par le feu des soudures, l’odeur du métal en fusion et le bruit assourdissant des machines qui rendaient le lieu comme le plus ardu d'Aghendar. L'Académie spatiale d’Aghendar ne l’attendait pas. Pourtant, il nourrissait la folle espérance de finir capitaine comme son père et entrevoyait son destin avec l’émerveillement d’un jeune enfant. L’aircar l’attendait sous le portail  des départs, il s’élança vers l’appareil qui s'ouvrit  et s’y jeta d’un bond et se retrouva aux commandes avec un petit sourire fier. Certes, son aircar n’avait rien d’un rapace, mais il était son seul bien. Il l’avait construit avec une infinie patience et l’avait vu prendre forme, jour après jour. Son œuvre terminé, il l’avait transporté jusqu’au hangar où l’attendait ahuri l’équipe qui partageait son travail quotidien. Au premier essai, sa vitesse de propulsion avait interpellé le vieux chef qui avait étudié les plans de l’appareil avec une grande attention.


Machine Volante
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang
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 L’aircar s’élança dans le vide, forma une boucle au-dessus de l’Aérospace. Golane poussa au plus fort la vitesse de son vaisseau qui le mena au-dessus de la ville, gigantesque, tentaculaire. Les lumières de la cité, multitudes étincelles de feux se confondaient avec les étoiles. Le Spatio-Port lui sembla tout à coup très petit. Il se laissa porter profitant des vents ascendants   et se dirigea vers le bras du fleuve qu’il suivit paisiblement. Il laissait derrière lui, les murs de pierre, les tours de cristal pour entamer son ascension vers la Mer des Tranquillités. Dan Mars l’attendait avec une surprise, il se doutait de l'annonce qu'il allait lui faire, mais à cet instant, une foule de questions l'assaillaient et le déconcentraient.




Il  poursuivit sa course en se laissant  glisser entre les dunes de sable. Elles ondulaient et serpentaient à travers le désert de Moghar jusqu'à l'embouchure des terres bleues. Il prit un couloir de lumière, les yeux éblouis par l'étendue limpide et prit le cap pour l'île. Golane était content, il arriverait juste à temps pour la Tombée des deux lunes. Il contemplait La Mer des Tranquillités, elle portait  bien son nom, il est vrai qu’il ne l’avait jamais vu gronder. Les anciens l’appelaient, Pacifique, Golane aimait bien ce nom étrange emprunté à une langue très ancienne. Pacifique, pensa-t-il tout haut, Pacifique, puis le  silence absorba l’intérieur du vaisseau.  Derrière lui, les dunes immobiles s’évaporaient happées par les souffles de sable, les jaunes et ocres de la terre avaient cédé place à une vaste nappe bleue aux reflets mélancoliques. Sous le vaisseau, la surface de l’eau respirait par des ondulations troubles qui rappelaient à Golane, le clair des yeux de son inconnue. À mesures que défilaient les coordonnées de sa destination, il soupçonnait au loin l’île, mais ses pensées restaient troublées par sa rencontre. 



Paysage
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang/


Le vaisseau repéra la plage et ouvrit ses ailes pour se poser sur le sable. Golane excellait dans cet exercice. Dan Mars observait son fils de la terrasse de sa maison en souriant, car pas un grain de sable ne s’était soulevé lors de son atterrissage. Tout était resté figé dans une singulière immobilité. Là où certains se posaient dans un bruit ahurissant faisant voltiger des gerbes de sables, Golane avec une facilité déconcertante atterrissait son appareil dans l’immobilité des éléments. Il le vit se dégager de son aircar d’un geste sec et prendre d’un pas nerveux sa direction. 





-Tu es bien le fils de Price, lui seul se posait de la sorte, tu as le même don ! Golane approche, dans mes bras ! Mes os ne sont plus aussi rapides qu’avant, lui dit-il en riant.
Il le pressa aussi fort qu’il le put contre lui comme s’il eut été un jeune enfant. Il perçut un trouble l'embarrasser et prit le temps de croiser ses yeux comme pour mieux le jauger. En effet, quelque chose d’inhabituel l’avait troublé. Dan Mars, cet intrépide capitaine était revenu avec une grande partie de sa flotte de l’envers univers. Il avait été le premier à découvrir la Porte, ce passage tant recherché qui vous propulsait de l’autre côté du Grand Néant comme le nommaient les hommes d’équipage. Il avait été promu à un tel degré de remerciement pour sa découverte qu’Hony-Pry en personne lui avait cédé l'île, une perle au milieu de l’océan. Aucun Haguedien du vivant D’Hony-Pry n’avait obtenu une telle distinction. La découverte des mondes situés au-delà des galaxies connues explosaient en connaissances et en valeurs marchandes et la Porte offrait des perspectives financières sans limite aux Maisons-Mères d’Aghendar. Dan Mars avait fait ériger cette petite maison sur un petit rocher, en amont de l’unique plage de l’île. De là, le vieil homme pouvait admirer, la Mer des Tranquillités avec toutes ses couleurs, loin des bruits assourdissants d'Aghendar.
L’intérieur était d’une grande sobriété, au mur, il avait accroché très sommairement quelque pièces originales ramenées de ses voyages. Golane laissait son regard s’y promener s’abandonnant au rêve fou d’y parvenir un jour à son tour. Dan Mars s’était absenté avec ce regard qui promettait quelques surprises. Il l’attendit en se dirigeant sur la terrasse de la maison. Il voulait voir les Terres bleues, sentir l’air salé dans ses poumons et profiter des dernières lumières du jour.

Goodnight Tale
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang/


Son regard contemplait La Mer des Tranquillités avec ses deux lunes qui prenaient à cette heure, une couleur d’opalescence. Il aimait ce moment où la nuit et le jour s’affrontaient et se confondaient. L’étendue bleue accentuait son trouble sans qu’il puisse s’en défendre.
Comment l’envers univers était-il, il y avait tant de questions, mais où donc est passé ce vieux fou pensa-t-il affectueusement. Il l’entendit, s’avancer derrière lui, d’un pas léger




-Golane, j’ai deux surprises, la première, je te l’annonce, tu as été pris sur le Galion Aghendis IV et... Tu les sais déjà ? Bien ! Mais, cela, tu ne t’y attendais pas !
Le vieil homme lui tendit fièrement un drôle d’objet.
-Qu’est-ce ? Il le prit dans ses bras, non, il ne s’y attendait pas. Il l’évalua, son poids n’était pas bien gênant.
- Cet objet, une vieille chose. En fait, à part, cette île et cet objet et bien entendu, mon uniforme, c’est l’une des seules valeurs que j’ai pu garder en ma possession. 
Golane ne s’attendait absolument pas à cette surprise. Le bois était lisse et doux sous sa main. Il percevait que l’on avait pris soin de l’objet et le tenait en respect pour avoir traversé sans une griffure, la multitude des galaxies. Il l’enviait et l’admirait intimidé par la grâce maîtrisée d’une main qui l’avait façonnée sans en imaginer le destin.
-J’ai tout laissé tel quel, regarde les cordes, elles sont intactes ! Lui murmura, Dan Mars.
Golane retourna instinctivement l’instrument, il le caressa de ses doigts et lu à son dos une suite de noms, où le sien était inscrit clairement. Il regarda de plus près, une généalogie humaine.
Golane jeta un regard stupéfié au vieux capitaine, ce regard qu’on les hommes surpris de trouver une partie de leurs racines là où ils ne s’attendaient pas. Une généalogie humaine, les hommes ne seraient donc pas un récit conté, une légende, mais bien, une réalité. 


Valérie Naelle








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