"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

lundi 23 novembre 2015

AGHENDAR, vision d'absolue 2






Motita
Lalie Sorbet SL
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AGHENDAR


Golane 

Le dernier Maître Grône



La nuit, ses rêves le propulsaient jusqu’aux portes des nébuleuses et l’hallucination était si parfaite qu’elle lui donnait une impression de vérité stupéfiante. Il se réveillait en nage et se demandait quand Dan Mars lui donnerait enfin l'occasion de partir. Il se sentait prêt à accomplir sa destinée, navigateur stellaire, Maître Grône et comme ses prédécesseurs, il ouvrirait les portes du temps dans le continuum. Lorsque Golane s'élevait dans l'espace, ses sens se détendaient, mais ce n’est que lorsqu’il atteignait les premières étoiles qu’il se sentait réellement chez lui. Au cœur des étoiles, il était libre et oubliait les contraintes de sa nature particulière qui lui permettait de lire à travers toutes penséesEn traversant le corridor qui le menait au hangar du Spacio-Port, il reconnut quelques voix dans le grésillement des premiers feux lasers. Les Haguediens glissaient le long des parois d'un imposant bâtiment tenu par des filins et de grands bras mécaniques, ils y concentraient toute leur attention. Une odeur d'huile brûlée traînait en permanence dans le hangar, des jets de vapeurs chaudes et de flammes s'entremêlaient donnant une illusion désorganisée aux lieux. Il aperçut la carrure de son chef, le vieil homme se dirigea vers lui en se laissant propulser par un des bras d'acier. Il se pencha sur lui en souriant malicieusement.
-Quoi ! Golane, tu es encore là ? T'es vraiment le fils de Dan, j’ai hérite d'un autre malade du boulot ! 
Le vieux chef lui lança un filin métallique qu'il attrapa, Golane se jeta dans le vide sans hésiter pour se retrouver rapidement à sa hauteur. 
- Vous n'avez rien vu de particulier ce soir, demanda-t-il ?
-Ce soir, non ! Rien que toi ! Qui d'autre pourrait se promener à cette heure dans l'Aéro-Space? Golane pressentit une certaine ironie dans le ton du vieux chef.
-J'ai vu un drôle de glisseur sortir, dit-il d'un trait en observant sa réaction.
-Un glisseur, non... Tu l'as rêvé ton engin. T'étais sur quelle étoile pour m'inventer des glisseurs dans mon Aéro-Space. Rien n'entre et ne sort d'ici sans que je le sache !
-En fin de journée, après le départ de la dernière équipe du jour
- Rien que ça, mais tu t’arrêtes jamais gamin, depuis quand t’es là ? Tu dors jamais ?
- J'ai... J'ai un peu de mal à dormir ces temps-ci.
Le vieux chef lui jeta un regard plein d'amitié.
-Rien vu, rien entendu ! Suis-moi, je crois que j'ai trouvé la panne de ce tas de ferraille !  
Il s'élança tout à coup dans le vide en plaquant son filin à la dernière seconde contre la paroi du cargo et Golane suivit le vieil homme surpris par la vitalité du vieux chef. Ils parcoururent en silence le vaisseau éventré par une faille béante d'où jaillissaient des pluies d'étincelles et des fumées noires. Les Haguediens se hâtaient pour colmater la plaie, les machines s'articulaient avec précision dans le vide dans un ballet incessant et bruyant. Golane ajusta sa visière à sa vue et fit actionner les fonctions de sa combinaison dont dépendait leur survie pour travailler dans ce milieu hostile. Il ne se hâtait pas, il espérait secrètement que plus la panne persisterait, plus le temps passé dans le cargo lui procurait l'occasion d'observer le bolide fabriqué d’un seul tenant.
- Là ! Dire que cela fait des heures qu'ils cherchent. Personne n'aurait pu trouver cette panne ici... Sauf, peut-être toi, lui dit-il, d'un ton plus bas et en le regardant droit dans les yeux. 
Golane recula de tout son poids surpris, oui, il y avait une faiblesse à ce niveau, mais ce n’était pas la panne principale.
-Il a des choses qui ne m'échappent pas. Je suis d'ailleurs certain que tu as trouvé la panne principale dans ces foutus tas de tôles et... Depuis un bon moment. Tu peux tromper qui tu veux, mais pas moi, un vieux roublard qui a traversé l'univers de long en large !
Golane sentit un lourd silence traverser le vieux cargo.
- Tu diras à ton père que ma dette est payée ! Dès aujourd'hui, nous sommes quittes ! Il comprendra et je suis certain que tu as saisi aussi. C’est l’heure de quitter les lieux Golane, rentre chez-toi ! 
Le vieux chef le dévisagea comme au premier jour de leur rencontre, dix années plus tôt, avec ces même rides aux coins des yeux et cette même intensité dans le regard. 
- Pas besoin de t'inquiéter gamin, je resterai discret ! Les histoires de Dan sont trop compliquées pour moi ! Bonne chance !
Il le salua d'une main puis lança son filin hors du vaisseau. Il disparut aussitôt après l'avoir décroché d'un geste assuré.



LEA 21 by Haveit Neox...
Lalie Sobet SL
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Golane observait la silhouette du vieux chef disparaître entre les cubes d'aciers qui se déplaçaient  en crevant les nuages de fumées rouges fluides. Quand avait-il failli pour éveiller les soupçons du vieux chef. Il avait pourtant bien mesuré chacune de ses actions depuis qu'il travaillait au Spacio-Port. Il était doué pour les machines, peut-être un peu trop douées pour le vieux chef. Il lui fallait redoubler de vigilance et rester quelque temps dans l'ombre pour échapper aux soupçons de la  garde d'Hony-Pry. Il pensa, Dan va m'en vouloir.  Il  sortit  du vaisseau et contourna le flan de l'imposant vaisseau pour se retrouver au-dessus du pont de la salle de commandement. Ses sens aiguisés l'avaient toujours guidé jusque-là, une fissure imperceptible, mais vitale pour le vaisseau s'y cachait dévoilant la panne principale. Il sortit instinctivement son marqueur et d'une main assurée identifia la brèche.



AO Kahane #paparazzoted
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Il s’apprêtait à quitter les lieux pour rejoindre Dan Mars, lorsqu'une force à l’intérieur du vaisseau de commerce attira toute son attention. Il percevait clairement cette présence, une  essence sauvage qui parcourait sa peau  et enfiévrait son esprit.  Il se laissa glisser le long de la paroi pour se stabiliser sur le du nez du bâtiment.  La main posée  sur le vaisseau, il remarqua instinctivement ce même métal étrange qui lui rappelait le mystérieux glisseur. Lorsqu'il colla son regard contre la paroi sombre de l’appareil pour mieux voir, il croisa son regard.




Une étrange jeune femme le dévisageait avec surprise. Elle se penchait sur le tableau de bord du vaisseau démantelé et se concentrait sur l’ordinateur principal. Golane restait paralysé face à deux grands yeux sombres et globuleux qui le fixaient. Il pensa, sauvage, animal. Puis, elle souleva délicatement sa prothèse oculaire pour découvrir deux grands yeux couleurs cyan. Son cœur se mit à battre si fort qu'il oublia le glisseur, la paroi qui le soutenait, le filin qui le retenait dans le vide. Il crut percevoir cette même surprise chez elle, car elle fit soudain un écart comme mieux le jauger. Il fit beaucoup d'effort pour garder tous ces sens en éveil. Golane vit  à travers ses yeux, cette force furieuse, animale et sauvage. Un océan, le choc des vagues furieuses se jetant dans des vides d'absolus. Il voyait, la glace, le feu et la course effrénée des étoiles dans un ciel aux couleurs de sang. La marche des guerriers Chyrkmanes foulant des terres étranges, ils étaient là, si proche, leurs ombres armées de cuirasses avançaient inexorablement dans la nuit. Il entendait leurs chants lunaires traverser le coeur des nébuleuses et leurs faucons d'acier progresser à travers le continuum. 



Jools
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L’inconnue s'avança et déposa sa main contre la paroi du vaisseau, une main dont les striures se démarquaient par d’étranges lignes. C'est alors qu'il entendit sa voix, une vague bouleversante venue d'ailleurs, la mouvance d'un monde qui submergeait ses pensées, toutes les couleurs d'un monde sauvage arrivaient jusqu'à lui dans un seul regard. Elle attendait une réponse. Il posa une main fébrile sur la paroi ne sachant que lui répondre et tenta gauchement une approche plus intime en se concentrant, mais elle recula brusquement. Des voix se rapprochaient derrière lui. Puis, elle disparut aussi soudainement qu’elle lui était apparue.


Jools
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Golane se précipita vers le sas d'ouverture d'urgence en  contournant  le nez du vaisseau, elle avait été plus rapide que lui, comment avait-elle fait pour le berner aussi vite et si bien, pensa-t-il consterné. Il la retrouva se tenant sans filin et solidement ancrée avec habileté à la paroi lisse du vaisseau. Elle sembla surprise de le revoir, il tenta une approche en levant sa main pour lui signaler sa bonne intention, mais elle se jeta sans hésiter dans le vide de l'Aéro-Space. Il décida de ne pas la suivre afin d’éviter d’éveiller les soupçons de son entourage, quelqu’un pouvait les avoir observés. Il contempla l'inconnue s'éloigner, tel un oiseau de proie survoler les grands géants cuirassés garés quelques étages plus bas. Elle se faufila en entre les cubes pour finalement disparaître à son tour dans l'amas des fumées rouges. Hors de question de la suivre, il devait rester dans l'ombre de son personnage.
-Golane! Cria un des hommes suspendus au filin le plus proche
-T'as vu ça ! Non d'un Hague, je n'ai jamais vu ça !
Golane haussa des épaules cachant ainsi toute expression et en arborant un petit sourire. Oui, il avait déjà vu ce type d’exploit. Le cœur battant à vive allure, il se laissa glisser sur son filin, le long de la paroi du vaisseau. Il embrassa du regard  pour la dernière fois, l’atelier de l’Aéro-Space où les vaisseaux étaient alignés soigneusement, attendant patiemment l’arrivée des équipes. Il observa l’enchevêtrement des tuyaux, des fils, des câbles qui jonchaient dans le hangar dans un ordre précis. Les jets d’étincelles et la brume rouge rendaient l’atmosphère soudainement irrespirable ou était-ce lui qui respirait moins bien. Il prit la direction de la plateforme des départs avec la certitude impensable qu'il n'était plus seul. Le temps tout à coup lui avait apparu bien court, son enfance se terminait là, dans ces lieux étranges entre des brumes rouges liquides et les reflets glacés des murs du Spatio-Port d'Aghendar. Golane avançait silencieusement, il saisit brusquement la certitude qu'il ne reviendrait  jamais dans ces lieux. 
Quelque part, au bout de la nuit, là où les étoiles s'éteignent pour renaître, il y avait bien plus grand que tout ce qu'il aurait pu espérer découvrir dans une vie de Grône. Une seule lumière dans la multitude des couleurs du temps, l'intensité d'un seul son dans l'espérance des forces de la vie... Il y avait Évene.




Valérie Naelle





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