"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

dimanche 15 janvier 2017

LE PASSAGER DE LUMIERE




Yoggsothoth




Le passager de Lumière 



Ici !
Ni réalité, ni existence
Juste le fluide de mes rêves 
Qui s'éparpille dans l'univers
Suis-je ! Ne suis-je pas ?
Ni féminin, ni masculin
Aucune réponse, aucune vérité
Je respire au cœur des souffles de lumière
Étoiles ! Soleils !
Astres mourants, renaissants
Sous  la lisière de mes paumes
Suis-je né, suis-je vivant ?
Bien avant la première trace
Avant la marche de la cellule
Légère particule
Je suis un funambule éphémère
Voltigeant sur les flux des globules
Infiniment proche ! Infiniment lointain !


Abîmes, éblouissements !
Je ne suis pas quantifiable
Je traverse sans carte les millénaires mourants
Je me baigne des poussières évanescentes
Qui courent sur les anneaux de feu
Qui se sédimentent sur les glaces austères
Je suis un voyageur sans escale
J'ouvre les portes sur l'immensité
Sur l'impossible et le possible
Je danse sur la mouvance du temps
Immatérielle marée vaporeuse
Je tourne vertigineux sur mon axe
Dans le ballet des nébuleuses
Je traverse en navigateur émerveillé
L'univers, l'envers de l'univers
Je ne suis ni abysse, ni espace
Je suis seulement ce que je suis
Je me désagrège !
Poussière, gaz 
Je me tasse et m'effondre
Je suis ma mort et ma naissance





Vitesse, silence
Immobile !
Je ne suis pas le son qui pulse
À travers l'amas des constellations
Je ne passe pas sur la lisière du temps
Je le chante !
Je suis un simple passager de lumière
Je n'ai nulle frontière
Mon billet a des allures de vide sans nature
Pour autant de voies, autant de surfaces 
Sans mesure, sans distance, sans latitude
Où l'étendue de mon être est multitude
Au dos des comètes, j'étincelle des amarantes
Je tisse des voiles de neige, des traînes célestes
Je chevauche les particules de glace
Me baigne aux jets d'eau d'Encelade
Coure sur les nuages d'Oort
Non ! Oui !
Je ne suis rien d'important
Juste une brise qui se pose sur votre front
La douceur légère d'une pensée
L'esprit vivant et mourant
Qui d'un souffle éveille
L'errance d'une pure vague d'énergie
La mouvance d'un ouragan que brise l’éclair
La folie inépuisable de la vie !
Gorgée de l'amour des étoiles
Je les écoute, je les comprends
Elles se consument, elles m'appellent
Tournent froides et se font soleils 


Capucine et Ludovic


Des battements tambourinent mon cœur
Là ! Au cœur des ténèbres
Une Île vagabonde, primitive
Terre ! Terre ! Terre !
Vent ! Eau ! Feu !
J’émerge des rivières, des océans 
De mon antre, rugit le souffle des ouragans
Sur ma peau, je dépose des lits de sable
À mes yeux, j'offre la ferveur du feu
Montagnes, arbres, fleurs, océans !
Miraculeuse sphère qui avance dans ma nuit
Couronnée par deux pôles glaciaires
Mystérieuses nuances de bleu et de vert
Je m'émerveille de ce prodige
De cette féerie qui dans tourne dans les ténèbres
En éclairant mon univers
Ne cherchez pas, n'essayez pas de comprendre
Le pourquoi, le comment
Je contemple cette étrange boule bleue
Qui tourne sur elle-même dans l’infini
Je ne suis qu'un simple passager de lumière

Valérie Naelle




Yoggsothoth

dimanche 1 janvier 2017

La déferlante



Mathieu Rivrin nous offre cette photo lors de la tempête Christine
"Explosion" est une  pure merveille !




La Déferlante 



Chaque matin, j'attends, je t'attends
Je suis le phare oublié sous ta déferlante
Tes mots creusent en reflux des vides béants
Telles des lames de fond turbulentes
Où d'amères vapeurs se glissent d'impatience
J'amarre sur les effluves salés de tes lèvres
Qui se posent entre mes pages de faïences
Tu fais de moi une épave abandonnée à la fièvre

Le soir, je trouve ton courrier sur mon lit
Mes yeux se brûlent à parcourir ton écriture
J'ai entre les mains tes phrases embellies
Elles vont et viennent mélancoliques en signature
Briser telles des vagues folles le fort de mon cœur
Je conserve tes lettres, mes besoins de toi
Juste assez pour faire battre ma ferveur
Qui surnage à l'ombre de ton toit

Mon envie est lors de boire tes lettres
Plutôt que de les lire
Je reste seul naufragé en ce mal-être
À n'être plus maître de mon cœur, sans le trahir
Comment te dire, je t'aime plus ardemment
Comment t'exprimer ma douleur
Te faire sentir que tu me manques profondément
Partout où je me trouve, je cherche tes couleurs



Je ne pense qu'à toi avec émoi
Tu restes mon réconfort, ma première eau
Seul compte que tu sois auprès de moi
Que puis-je écrire pour t'exprimer de plus beau
Que ne porte la force de mon affection
Comment te faire entendre ces, je t'aime enflammés
Par mes promesses murmurées d'un soupir d'expiation
Où j'attache à mon dernier souffle nos nœuds désarrimés

Ni tempête, ni calme-plat sur mes plaines liquides
Juste la houle qui tangue en mon cœur à ton vent
Où ces, je t'aime que tu m'envoies sont si fluides
Où je ne garde dans ma traversée que le mouvant
Du ressac de tes mains qui ondulent sur ma grève
Aux cris mugissant des courants dérivants
Nous respirions alors au parage du même rêve
Dans un monde accablé aux couleurs si effrayantes

Quelquefois
Je me sens faible de ne pouvoir te rejoindre
De ne pouvoir t'emporter comme autrefois
Le monde pourrait disparaître, ce serait moindre
Pour la première fois
J'ai en moi la puissance d'un lion, je me sens fort
À déplacer des montagnes et bousculer le temps à la fois
Une tempête qui briserait tout contrefort

La nuit tombe, une autre nuit à t'attendre
Où les rêves saisissent aux flots de mes yeux
Ton corps qui me devance à me surprendre
De vifs désirs qui éclairent ton regard joyeux
Tu restes l'estuaire de ma belle évidence
Où mes mots trouvent en ton miroir ces reflets
Parés de douceur sous la force de ta providence
Je demeure la sirène échouée muette sur les galets

Je réclame en vœux
À démêler pour toi toutes les saisons
J'envoie au ciel ma prière, mes aveux
Pour décrocher le soleil, l'univers, oublier toutes raisons
Égrener chaque perle d'écume au chapelet du temps
D'un baiser à tes lèvres, trouver le passage
Larguer les amarres aussi longtemps
Que le large me laissera voir le cap de tes messages


Valérie Naelle








https://www.flickr.com/search/?text=mathieu%20rivrin
http://www.voilesetvoiliers.com/popup/media_id=23055/

L'Absence d'Aubéron

   





Absence



Comment composer avec l'absence
Lorsqu'il reste de compagnie que l'abstinence
Comment aimer avec patience
Lorsque le corps est vidé de son essence
Il se murmure des mots sur mes lèvres
Des sons ciselés de vos mains d'orfèvres
Dissolus, impudiques à l'antre de ma bouche
Pourtant, ni bavures dans le ton, ni retouches

Comment vivre avec l'absence
Lorsque mes doigts contournent l'abstinence
Comment aimer sans impatience
Lorsque vos appétits sont ma quintessence
Les jours défilent puis s'évaporent
À ce lien suspendu, nos jeux en corps-à-corps
Se brûlent de fièvre pour deux paires d'ailes
Qui n'ont d'envolée que des cris de voyelles

Comment résister à ces ferveurs
Lorsque vous marquez tant d'ardeur
À dénuder de vos mains, mon insolence
Renverser mes portées de silence
Sur mon cœur, vos notes courent électriques
Des pressions majeures signent nos échanges
Ces jeux de paume n'ont rien d'angéliques
Vertige, fascination de deux d'anges

Comment composer avec l'absence
Lorsque vous me baptisez avec impudence
Comment vous séduire en abstinence
Lorsque j'aspire à vos vers sans nuances
Je fais de nos échanges des versets impudiques
Pressant contre mon cœur cette âme diabolique
Nos corps n'auraient de vertiges psychédéliques
Que l'impulsion de vos bonheurs ludiques

Diable !
Déshabiller le roi Aubéron
L'idée me semble si étrange


Valérie Naelle






lundi 8 août 2016

Toutes les belles choses




"Numéro 9" Audrey Lambert 
https://www.flickr.com/photos/audrey_boa/


Quelque chose

Je t’écris quelque chose
Soufflé de nulle part
Des mots où à peine j’ose
Abattre les remparts
D’un temps qui n’est plus
Incertain et suspendu
Au fil perdu de l’absolu
De nos désirs inattendus

Dans ce temps où je survis
J’ai ces vives envies
De t’appeler, d’entendre ta voix
De te raconter tous ces pourquoi
Mais j'ai perdu le courage
De prendre le temps d'écrire
Ces belles lettres parées d'orage
Celles qui brisent et font mourir

Quai des rêves et  des soupirs
Toujours en rade pris au départ
Tu cours à t'étourdir
Comme la plupart
Agripper d'une main
La gisante  illusion
D'un songe sans  lendemain
Où crève l'évasion

Je ne veux plus voir ce qu’il reste
De nous, pourtant
J'ai  beau rêvé d'arc-en-célestes
Enlacer le printemps
Dans les reflets de mon miroir
Ces plis aux cœurs
Brisent ma mémoire

Pour un instant, j'oublie les arrachoirs 
Ces feux glacés, ces casses au cœur
Ces envolées de notes noires
Où s'infiltrent d'amères liqueurs
Toutes les belles choses
 À  petites doses je les dépose
Pour  vingt pièces de crève-cœur 
À ton front un accroche-cœur

Valérie Naelle




mardi 8 mars 2016

Pro deo et libertate "La Rivière aux Escargots"




"Lac Tsimanampetsotsa"
Ma Poupoule
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Pro deo et libertate 


On me nomme, La Grande Île
Le continent oublié, la presqu’île
Sur l’or de mes horizons immobiles
Glissent des boutres tranquilles
Les ailes élégantes et fragiles
Je suis Africaine, Francophile

Pro deo et libertate !
Mon horizon  au déclinant
Se pimente de pourpre fascinant
Mes monts de latérites et rayonnants
S’élèvent gracieux au culminant
Ma terre respire sous des soleils bouillonnants
Des poussières de sables rouges tourbillonnants
  
Je suis L’Île sauvage
L’indomptée que les cyclones ravagent
Les Alizés  soufflent sur mes rivages
Des poudres d’écumes où voyages
Les pluies impétueuses  en sillage
Je demeure une Terre Vierge et sans âge

Pro deo et libertate !
Pays de la couleur et de la lumière
Les silences de mes bois se font Prières
Mes savanes  portent en bannière
Des vents de liberté pour matières
J'ai l'âme voyageuse et aventurière
Je suis L'Île secrète, une contrebandière

 On me décrit, fascinante
L'Île aux mille fragrances exubérantes
En mon sang coule la force foudroyante
Des ouragans et des tornades effrayantes
Affranchie, Indépendante
Insoumise, je suis la Dissidente !

Rebelle, je suis  la Renégate
J’ai survécu au diktat
Avec mes dix-huit langues délicates
Mes océans baignés de bleu d’agate
Et mes forêts de sphènes de silicates
Je suis la Belle Inspirée, je suis L’Île aux pirates

Pro deo et libertate !

Valérie Naelle





mercredi 9 décembre 2015

AGHENDAR , les chants du Pacifique 4




AGHENDAR
Les Mondes Chirkmanes


Papillons 1
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang/






Mars observait la réaction de son fils, celui-ci avait posé la feuille sur la table. Il contempla silencieux l’instrument, puis il le cala contre lui pour l’ajuster à son corps. Ses doigts trouvèrent instinctivement leurs places et un son étrange s'échappa de l’instrument. Il replaça ses doigts en insistant sur les cordes qui se mirent à vibrer et les sons traversèrent la maison. Mars vit alors se dessiner sur son visage, un grand sourire et ses ses yeux prirent un éclat particulier. À cet instant, il revit un fantôme, son ami Price, ils étaient frères d'armes.  Il l'avait perdu lors de son dernier voyage, une perte dont jamais, il n’avait pu se faire pardonner. Aussi, dès que l’occasion put se faire, il avait aussitôt protégé l'enfant et sa mère des dernières rafles d’Hony-Pry. Il avait vécu sur l’île à la clause d’Hony-Pry de ne jamais les laisser quitter l’île. La peine s’était allégée avec le temps, mais Dénevia ne s’était jamais remise de la mort de Price. Durant des années, il avait senti peser sur ses épaules la responsabilité de la mort de son ami, puis sa douleur s'était allégée avec la présence de l'enfant. Golane avait rempli sa maison d'une quiétude dont il n'aurait alors soupçonné l'existence. Il avait aimé secrètement cette femme Grône et s’était défendu de cet amour en parcourant le continuum, en poussant toujours plus loin son voyage d'étoile en étoile, de planète en planète, mais le Maître Grône avait payé de sa vie leur amitié. Dans sa solitude, Dan Mars avait compris à l'instant où il avait eu l'instrument en main que l'objet reviendrait un jour dans son monde. L’envers univers était à présent aux mains  d'Aghendis, Price avait trouvé et ouvert La Porte pour un millénaire de générations. Golane sur les traces de son père, il pouvait désormais quitter ce monde en toute sérénité. Il avait tenu sa parole, La Prophétie des Maîtres Grônes s’accomplirait et la chute de l’Empire n'était plus qu’une question de temps. Il regardait l’adolescent, cette réplique à l’identique de son meilleur ami. Il songeait à un lieu bien plus vaste que le Pacifique, un océan qui pouvait se montrer aussi généreux dans le pouvoir de guérir qu'aussi terrifiant si vous n'étiez pas élu. Price avait bu à cette eau, mais ils étaient arrivés trop tard et le corps de son ami était resté inanimé dans l'océan. Il s’en est allé dans l’autre monde lui avait dit le guerrier Chirkmane. Il avait gardé son corps dans ses bras pour le bercer et le pleurer sous la voûte étoilée d'un ciel inconnu et déposé en terre son corps sous les chants des guerriers. Dan Mars avait tant espéré, mais en vain pour Price, une seconde chance, mais il était revenu avec ce fardeau terrible.



Masque de pierre, jardins Palais Longchamp- Marseille
Pop H
https://www.flickr.com/photos/aumeran/









Le nom de Price avait été chanté, puis gravé sur une Pierre-de-Lune, un son  qui poursuivrait sa quête à travers  le continuum de génération en génération Chirkmane. C’est ainsi que l’on obtient l’infini lui avait dit le guerrier Chirkmane, ta peine disparaîtra dans la multitude du temps. La vie n’est qu’un sursis face à la mort, seul compte la mémoire de ton ami dans le temps. Dan Mars avait saisi le chant des Chirkmanes, le sursis de Price avait pris la forme ronde et gracieuse d’une femelle élue. Il avait vu naître l’impensable, une enfant mi-Grône et mi-Chirkmane, l’océan était-il responsable de cet étrange phénomène. Il ne le saura jamais. La vie trouve toujours son chemin, lui avait dit le guerrier. 


Third World Creatures...
Lalie Sorbet SL
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Il était resté plusieurs mois sur leur planète, le temps de réparer son vaisseau, assez de temps pour reconnaître en l’enfant les traits de son père et la force redoutable de sa mère. 
Price laissait derrière lui un cadeau effrayant à l'Empire. Une lignée de Maîtres Grônes franchissant l’espace guidée par une femelle honorée en mère des futures générations Chirkmanes. Le sang des Grônes était incompatible aux Aghendiens et il n’en connaissait pas la raison. Lui-même ne savait comment il avait été conçu, il était le produit contrôlé des Bulles de fer. La notion de père et de mère n’était propre qu’aux Grônes et au reste de l'univers. Ce fut l'une des découvertes de son voyage au-delà de l’envers univers.
Golane observait le vieux capitaine, il apprenait avec stupéfaction qu’il n’était pas que le fils de Price. Une certaine ressemblance avait joué en cette faveur, Hony-Pry en avait-il eu vent pour les avoir laissé vivre sur l’île. Il observait son père, un vieil homme aveuglé par son amitié. Price l’avait suivi au-delà des étoiles afin qu’il puisse à son tour le protéger de l'Empire . Price était un Maître incontestable, ses visions comme sa fidélité à cette amitié n’avaient eu de limite. La vue de la jeune femme  lui revint, une Chirkmane, pensa-t-il, il était amoureux d’un être redoutable et sauvage, il aimait son ennemi. 
Golane cala l’instrument contre lui et se mit à jouer. Il joua si bien qu’il ne sentit pas la nuit croître et illuminer les deux lunes d’Aghendar. Le Pacifique entendit son chant et répondit à son enfant en se drapant d’une nappe lumineuse chargée d’émeraude. Sur ces verts subtils, il percevait à travers la clameur des vagues qui se déchargeaient sur la plage, la déflagration de ses propres pensées qui le bouleversaient. 
Il y eut cette vibration nouvelle qui se mit à résonner sur l’eau et dans le ciel où L’infini saisissait la pulsation d’un cœur d’enfant qui découvrait son premier amour. Les étoiles écoutaient silencieuses, le chant d’un futur capitaine de vaisseau qui découvrait son meilleur ami pour supporter la solitude de l’espace. Les Mondes d'Aghendis accueillaient dans sa plus belle nuit, celle où les deux lunes ne font plus qu’une sur Aghendar, la naissance du dernier Maître Grône.



Valérie Naelle

jeudi 3 décembre 2015

AGHENDAR, la Mer des Tranquillités 3





ARnno PlanneR
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AGHENDAR



HAVRE DE PAIX




Golane était persuadé d’être le dernier Grônes, se pourrait-il qu’il en reste encore dans cet univers ou ailleurs et si oui pourquoi ne l’avait-il pas perçu plus tôt, pensa-t-il soucieux.  Il ne l’avait absolument pas perçu, il avait la quasi-certitude qu'elle n'était pas un Grône. Elle était autre chose, mais quoi ? Il se sentait désemparé par cette rencontre inattendue. L’univers est peuplé de tant de diversités d’êtres, qu’il ne saurait sans doute jamais à quelle  espèce, elle appartenait. Non, pensa-t-il, elle ne pouvait être un Grône, pourtant... 
Il traversa le corridor qui le menait à la plate-forme réservée au personnel qui baignait à cette heure dans un calme intemporel. Le Spatio-Port allait lui manquer, la chaleur dégagée par le feu des soudures, l’odeur du métal en fusion et le bruit assourdissant des machines qui rendaient le lieu comme le plus ardu d'Aghendar. L'Académie spatiale d’Aghendar ne l’attendait pas. Pourtant, il nourrissait la folle espérance de finir capitaine comme son père et entrevoyait son destin avec l’émerveillement d’un jeune enfant. L’aircar l’attendait sous le portail  des départs, il s’élança vers l’appareil qui s'ouvrit  et s’y jeta d’un bond et se retrouva aux commandes avec un petit sourire fier. Certes, son aircar n’avait rien d’un rapace, mais il était son seul bien. Il l’avait construit avec une infinie patience et l’avait vu prendre forme, jour après jour. Son œuvre terminé, il l’avait transporté jusqu’au hangar où l’attendait ahuri l’équipe qui partageait son travail quotidien. Au premier essai, sa vitesse de propulsion avait interpellé le vieux chef qui avait étudié les plans de l’appareil avec une grande attention.


Machine Volante
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang
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 L’aircar s’élança dans le vide, forma une boucle au-dessus de l’Aérospace. Golane poussa au plus fort la vitesse de son vaisseau qui le mena au-dessus de la ville, gigantesque, tentaculaire. Les lumières de la cité, multitudes étincelles de feux se confondaient avec les étoiles. Le Spatio-Port lui sembla tout à coup très petit. Il se laissa porter profitant des vents ascendants   et se dirigea vers le bras du fleuve qu’il suivit paisiblement. Il laissait derrière lui, les murs de pierre, les tours de cristal pour entamer son ascension vers la Mer des Tranquillités. Dan Mars l’attendait avec une surprise, il se doutait de l'annonce qu'il allait lui faire, mais à cet instant, une foule de questions l'assaillaient et le déconcentraient.




Il  poursuivit sa course en se laissant  glisser entre les dunes de sable. Elles ondulaient et serpentaient à travers le désert de Moghar jusqu'à l'embouchure des terres bleues. Il prit un couloir de lumière, les yeux éblouis par l'étendue limpide et prit le cap pour l'île. Golane était content, il arriverait juste à temps pour la Tombée des deux lunes. Il contemplait La Mer des Tranquillités, elle portait  bien son nom, il est vrai qu’il ne l’avait jamais vu gronder. Les anciens l’appelaient, Pacifique, Golane aimait bien ce nom étrange emprunté à une langue très ancienne. Pacifique, pensa-t-il tout haut, Pacifique, puis le  silence absorba l’intérieur du vaisseau.  Derrière lui, les dunes immobiles s’évaporaient happées par les souffles de sable, les jaunes et ocres de la terre avaient cédé place à une vaste nappe bleue aux reflets mélancoliques. Sous le vaisseau, la surface de l’eau respirait par des ondulations troubles qui rappelaient à Golane, le clair des yeux de son inconnue. À mesures que défilaient les coordonnées de sa destination, il soupçonnait au loin l’île, mais ses pensées restaient troublées par sa rencontre. 



Paysage
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang/


Le vaisseau repéra la plage et ouvrit ses ailes pour se poser sur le sable. Golane excellait dans cet exercice. Dan Mars observait son fils de la terrasse de sa maison en souriant, car pas un grain de sable ne s’était soulevé lors de son atterrissage. Tout était resté figé dans une singulière immobilité. Là où certains se posaient dans un bruit ahurissant faisant voltiger des gerbes de sables, Golane avec une facilité déconcertante atterrissait son appareil dans l’immobilité des éléments. Il le vit se dégager de son aircar d’un geste sec et prendre d’un pas nerveux sa direction. 





-Tu es bien le fils de Price, lui seul se posait de la sorte, tu as le même don ! Golane approche, dans mes bras ! Mes os ne sont plus aussi rapides qu’avant, lui dit-il en riant.
Il le pressa aussi fort qu’il le put contre lui comme s’il eut été un jeune enfant. Il perçut un trouble l'embarrasser et prit le temps de croiser ses yeux comme pour mieux le jauger. En effet, quelque chose d’inhabituel l’avait troublé. Dan Mars, cet intrépide capitaine était revenu avec une grande partie de sa flotte de l’envers univers. Il avait été le premier à découvrir la Porte, ce passage tant recherché qui vous propulsait de l’autre côté du Grand Néant comme le nommaient les hommes d’équipage. Il avait été promu à un tel degré de remerciement pour sa découverte qu’Hony-Pry en personne lui avait cédé l'île, une perle au milieu de l’océan. Aucun Haguedien du vivant D’Hony-Pry n’avait obtenu une telle distinction. La découverte des mondes situés au-delà des galaxies connues explosaient en connaissances et en valeurs marchandes et la Porte offrait des perspectives financières sans limite aux Maisons-Mères d’Aghendar. Dan Mars avait fait ériger cette petite maison sur un petit rocher, en amont de l’unique plage de l’île. De là, le vieil homme pouvait admirer, la Mer des Tranquillités avec toutes ses couleurs, loin des bruits assourdissants d'Aghendar.
L’intérieur était d’une grande sobriété, au mur, il avait accroché très sommairement quelque pièces originales ramenées de ses voyages. Golane laissait son regard s’y promener s’abandonnant au rêve fou d’y parvenir un jour à son tour. Dan Mars s’était absenté avec ce regard qui promettait quelques surprises. Il l’attendit en se dirigeant sur la terrasse de la maison. Il voulait voir les Terres bleues, sentir l’air salé dans ses poumons et profiter des dernières lumières du jour.

Goodnight Tale
Pierre-André Gervaix
https://www.flickr.com/photos/rdspang/


Son regard contemplait La Mer des Tranquillités avec ses deux lunes qui prenaient à cette heure, une couleur d’opalescence. Il aimait ce moment où la nuit et le jour s’affrontaient et se confondaient. L’étendue bleue accentuait son trouble sans qu’il puisse s’en défendre.
Comment l’envers univers était-il, il y avait tant de questions, mais où donc est passé ce vieux fou pensa-t-il affectueusement. Il l’entendit, s’avancer derrière lui, d’un pas léger




-Golane, j’ai deux surprises, la première, je te l’annonce, tu as été pris sur le Galion Aghendis IV et... Tu les sais déjà ? Bien ! Mais, cela, tu ne t’y attendais pas !
Le vieil homme lui tendit fièrement un drôle d’objet.
-Qu’est-ce ? Il le prit dans ses bras, non, il ne s’y attendait pas. Il l’évalua, son poids n’était pas bien gênant.
- Cet objet, une vieille chose. En fait, à part, cette île et cet objet et bien entendu, mon uniforme, c’est l’une des seules valeurs que j’ai pu garder en ma possession. 
Golane ne s’attendait absolument pas à cette surprise. Le bois était lisse et doux sous sa main. Il percevait que l’on avait pris soin de l’objet et le tenait en respect pour avoir traversé sans une griffure, la multitude des galaxies. Il l’enviait et l’admirait intimidé par la grâce maîtrisée d’une main qui l’avait façonnée sans en imaginer le destin.
-J’ai tout laissé tel quel, regarde les cordes, elles sont intactes ! Lui murmura, Dan Mars.
Golane retourna instinctivement l’instrument, il le caressa de ses doigts et lu à son dos une suite de noms, où le sien était inscrit clairement. Il regarda de plus près, une généalogie humaine.
Golane jeta un regard stupéfié au vieux capitaine, ce regard qu’on les hommes surpris de trouver une partie de leurs racines là où ils ne s’attendaient pas. Une généalogie humaine, les hommes ne seraient donc pas un récit conté, une légende, mais bien, une réalité. 


Valérie Naelle