"On est de son enfance, comme on est d'un pays"

Antoine de Saint-Exupéry

samedi 4 juin 2022

RUAN JI

 

Ruan Ji

210-263


Ce que j'ai au cœur

Yong buai shi

I

Profonde était la nuit. 

Le sommeil me fuyait.

Je me levais, m'assis, jouait de la cithare.

Sur les minces rideaux se reflétait la lune

Et un zéphyr très doux faisait frémir ma robe.

Une oie solitaire pleura dans la broussaille

Un oiseau en criant passa au bois du Nord.

J'ai erré ça et là. Qu'espérais-je donc voir?

Seul un chagrin profond a tourmenté mon cœur.


VI

J'ai ouïs parler jadis des melons de Dongling

Qu'il cultivait là-bas, près de la porte verte.

Les sentiers en ses champs se croisaient en tout sens

La mère et les enfants s'accrochaient l'une aux autres.

Leurs couleurs éclataient au soleil du matin

Et de beaux visiteurs accouraient de partout.

La graisse dans le feu se consume elle même

Les trop grandes fortunes conduisent au désastre.

On peut vivre sa vie vêtue de simple toile

Comment pourrait-on croire à l'or et aux honneurs?


VIII

Un soleil éclatant va disparaître à l'ouest

Ses tout derniers rayons illuminent ma robe.

La brise en tournoyant frappe mes quatre murs

Et les oiseaux frileux se blottissent ensemble.

Le zhouzhou peut saisir ses plumes dans son bec

Et le qiongqiong aussi a souci de la faim.

Qui sont-ils donc, ces gens qui barrent le chemin,

Lithophones courbés ne sachant où aller?

Qu'irai-je me vanter d'une gloire bien vaine !

Rongé par le chagrin, j'ai grande peine au cœur.

Mieux vaut voler avec moineaux et hirondelles

Plutôt qu'accompagner la grue jaune en son envol

La grue jaune qui vole sur les quatre mers

Et s'aperçoit soudain qu'il n'est point de retour.


IX

Je suis monté en haut de la porte de l'est

J'ai contemplé au nord les hauteurs de Shouyang

A leurs pieds un vieil homme coupait les osmondes

Sur leur sommet croisaient des arbres magnifiques.

Reverra-t-on un jour un matin auspicieux?

Le givre a pris en glace le col de ma robe.

Un cruel aquilon fait frissonner les monts

Et de noires nuées s'élèvent, lourde d'ombre.

 Des oies sauvages pleurent en partant vers le sud

Un épervier fend l'air de son cri désolé.

La note shang s'en va, peignant le monde en blanc

En un très long sanglot qui me blesse le cœur.


XV

A peine un jour se lève que s'en vient le soir

Le soir arrive à peine, que le matin est là.

Mon visage n'est plus ce qu'il était jadis

Et mon âme elle-même faiblit et se disperse

Un brasier dévorant brûle dans ma poitrine.

C'est lui qui est la cause de tels changements.

D'innombrables soucis se succèdent sans fin

Et les plans les plus sages sont, hélas ! bien vains.

La seule peur que j'aie, c'est qu'en un même instant

Mon esprit et mon souffle ne s'envolent au vent

Jusqu'à ma mort je dois fouler la glace mince

Mais qui pourrait savoir quel feu j'ai dans le cœur !








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