Ruan Ji 210-263 Ce que j'ai au cœur Yong buai shi I Profonde était la nuit. Le sommeil me fuyait. Je me levais, m'assis, jouait de la cithare. Sur les minces rideaux se reflétait la lune Et un zéphyr très doux faisait frémir ma robe. Une oie solitaire pleura dans la broussaille Un oiseau en criant passa au bois du Nord. J'ai erré ça et là. Qu'espérais-je donc voir? Seul un chagrin profond a tourmenté mon cœur. VI J'ai ouïs parler jadis des melons de Dongling Qu'il cultivait là-bas, près de la porte verte. Les sentiers en ses champs se croisaient en tout sens La mère et les enfants s'accrochaient l'une aux autres. Leurs couleurs éclataient au soleil du matin Et de beaux visiteurs accouraient de partout. La graisse dans le feu se consume elle même Les trop grandes fortunes conduisent au désastre. On peut vivre sa vie vêtue de simple toile Comment pourrait-on croire à l'or et aux honneurs? VIII Un soleil éclatant va disparaître à l'ouest Ses tout derniers rayons illuminent ma robe. La brise en tournoyant frappe mes quatre murs Et les oiseaux frileux se blottissent ensemble. Le zhouzhou peut saisir ses plumes dans son bec Et le qiongqiong aussi a souci de la faim. Qui sont-ils donc, ces gens qui barrent le chemin, Lithophones courbés ne sachant où aller? Qu'irai-je me vanter d'une gloire bien vaine ! Rongé par le chagrin, j'ai grande peine au cœur. Mieux vaut voler avec moineaux et hirondelles Plutôt qu'accompagner la grue jaune en son envol La grue jaune qui vole sur les quatre mers Et s'aperçoit soudain qu'il n'est point de retour. IX Je suis monté en haut de la porte de l'est J'ai contemplé au nord les hauteurs de Shouyang A leurs pieds un vieil homme coupait les osmondes Sur leur sommet croisaient des arbres magnifiques. Reverra-t-on un jour un matin auspicieux? Le givre a pris en glace le col de ma robe. Un cruel aquilon fait frissonner les monts Et de noires nuées s'élèvent, lourde d'ombre. Des oies sauvages pleurent en partant vers le sud Un épervier fend l'air de son cri désolé. La note shang s'en va, peignant le monde en blanc En un très long sanglot qui me blesse le cœur. XV A peine un jour se lève que s'en vient le soir Le soir arrive à peine, que le matin est là. Mon visage n'est plus ce qu'il était jadis Et mon âme elle-même faiblit et se disperse Un brasier dévorant brûle dans ma poitrine. C'est lui qui est la cause de tels changements. D'innombrables soucis se succèdent sans fin Et les plans les plus sages sont, hélas ! bien vains. La seule peur que j'aie, c'est qu'en un même instant Mon esprit et mon souffle ne s'envolent au vent Jusqu'à ma mort je dois fouler la glace mince Mais qui pourrait savoir quel feu j'ai dans le cœur ! |